Voici le genre de livre à ouvrir après avoir fait le vide autour de vous : prévenez votre entourage, car une fois plongé dedans, vous ne remonterez pas de sitôt à la surface.
Le Magic Time, c’est à la fois une époque et un café où se retrouvaient les militants des droits civiques à Troy, ville du Mississippi, dans les années 60. On surnomma ce mois d’août 1965, « l’été de la liberté », une époque qui, paradoxalement, n’eut rien de magique. « The Freedom Summer » doit son nom à la vague de jeunes militants venus, souvent de New York ou d’autres grandes villes des Etats du Nord, inscrire dans les états du Sud, les noirs sur les listes électorales. Le 6 août 1965, le président Lyndon Johnson a signé le « Voting Rights Act » qui abolissait toutes les barrières ethniques et raciales pouvant obstruer l’accès aux bureaux de vote. Dans le Mississippi, la nouvelle politique passa inaperçue et seuls 5% de la population noire s’inscrivit. En pleine canicule, s’ouvrait alors une période particulièrement sombre dans cet Etat sudiste, sous la férule du Ku Klux Klan.
Le romancier Doug Marlette, prix Pulitzer pour ses dessins de presse et lui-même ancien journaliste à l’Atlantica Constitution, avait 16 ans en 1965, à peine plus jeune que les héros de son livre. Il a connu cette ambiance délétère, effrayante pour les noirs et leurs alliés objectifs. Les années 1960 étaient aussi des années de conformisme, où les femmes de la bourgeoisie du Sud étaient corsetées intellectuellement et financièrement, où les clubs restaient ouverts uniquement aux hommes blancs de confession chrétienne. La bonne société de Troy ignorait presque tout des drames qui se nouaient la nuit, quand les membres cagoulés du KKK faisaient brûler des croix dans les champs et lynchaient de jeunes noirs sur les bords de la route. Le 28 août 1965, quatre militants dont une femme blanche furent retrouvés morts dans une petite église de Troy, réduite à l’état de cendres.
Vingt-cinq ans plus tard en 1990, Carter Ransom, un « enfant du pays » devenu un célèbre chroniqueur au New-York Examiner, fut victime d’un burn-out sévère. Son médecin lui interdit toute activité, et sa sœur décida alors de le faire revenir dans leur maison de famille du Mississipi pour veiller sur lui. Dans la demeure, il dut cohabiter avec son père, dont la santé était déclinante. Pour Carter, ce retour aux sources était émotionnellement difficile car en 1965, sa petite amie Sarah Solomon faisait partie des quatre militants assassinés dans l’église de Troy. A l’époque, le juge d’instruction chargé de l’affaire n’était autre que son père, Mitchell Ransom qui, après une enquête sous haute pression, avait pu faire condamner seulement deux membres du Ku Klux Klan à perpétuité. L’ouverture d’un second procès, avec la perspective de punir enfin le commanditaire des meurtres, désigné comme le grand sorcier du KKK, poussera Carter à se replonger dans l’affaire.
L’histoire de « Magic Time » est addictive et les allers et retours entre les deux époques, 1965 et 1990 extrêmement habile pour tenir le lecteur en haleine. Les vingt-cinq années de distance permettent de suivre l’évolution des différents protagonistes : comment l’ancien shérif de Troy, raciste et proche du KKK, a réussi à se racheter une virginité, retournant sa veste au bon moment comme tant d’autres, la plupart des habitants infléchissant leurs positions conservatrices au fil des années sans toutefois renier leurs anciennes amitiés. Lors de cet été particulier, Carter recroise sa bande d’amis d’antan, dont certains l’aideront à démêler le vrai du faux, et réalise qu’il a acquis sa conscience politique grâce à Sarah, mais surtout grâce à Lige, le fils charismatique de la bonne de la famille Mitchell. Considéré de manière ambigüe comme un frère – mais un noir et un blanc pouvaient-ils l’être dans la mesure où ils n’avaient même pas le droit boire un coca-cola assis côte à côte dans certains bars ? -, Lige, disciple de Martin Luther King, est devenu le premier député de couleur élu au Congrès.
Ce polar dramatique inspiré librement d’un fait réel, servie par une enquête serrée, est une réussite. On savoure littéralement chaque page, et les personnages nous habitent longtemps encore après l’avoir refermé.