Et leurs baisers au loin les suivent
Corinne Royer

Actes Sud Editions
romans, nouvell
janvier 2016
262 p.  20 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
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Autant en emporte la Loire

Léon est celui à qui la vie a tout donné : la terre riche et fertile du domaine du Grand- Fleury en Saône et Loire, les plus belles charolaises, l’affection maternelle et surtout l’amour inconditionnel de Cassandre, sa femme. Et pourtant, un jour, à 77 ans, il disparaît. Et le lecteur, très vite, est mis au courant : il ne reviendra pas. Cassandre le sait et se tait. Léon avait un frère dont on ne parle jamais. Que s’est il passé entre eux, là-bas en Algérie, pendant la guerre ? Cassandre, fille adoptée aux origines haïtiennes, n’a jamais pu s’intégrer : sa peau est trop sombre pour les gens d’ici, elle n’ a pas réussi à donner un héritier à Léon. Bientôt d’étranges lettres lui parviennent, décrivant un passé familial dont elle ne soupçonnait pas l’existence .

Le roman de Corinne Royer au titre évocateur mêle plusieurs fils narratifs comme autant de livres: c ‘est une fable philosophique forte sur l’ancrage identitaire, notre recherche de racines, et le rêve du merveilleux. Cassandre se retrouve à la tête d’un domaine prospère certes mais que les fureurs de la Loire qui ronge la falaise menace d’ensevelir. Tout comme son mariage et sa vie d’avant, puisque Léon est parti. L’auteure de « La vie contrariée de Louise »  livre ici un récit chatoyant et majestueux, dans une langue poétique et fiévreuse. Elle nous transporte des immensités blanches de l’Antarctique jusqu’aux plages du Mexique, des légendes d’Haïti à l’Algérie du chaos. En amoureuse des lieux et des mots, Corinne Royer dessine la géographie des rêves d’une famille et pose la question essentielle : de quel endroit venons nous  vraiment ? De celui où nous sommes nés, ou celui où on l’a aimé ?

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coup de coeur

Cassandre vient déclarer à la gendarmerie de son petit village de Saône et Loire la disparition de son époux, Léon. C’est le jeune adjudant Slimani qui enregistre sa déclaration. Elle sent bien que celui-ci n’est pas à l’aise en face d’elle, : » Car je l’ai immédiatement reconnue cette gestuelle peureuse, cette curiosité inquiète dans l’iris bleu du jeune adjudant, un novice qui effectue sa toute première affectation, qui n’a pas pour habitude de recevoir des personnes de couleur, noires comme ébène, et dont on ne doit pas compter plus de dix spécimens sur tout le périmètre de Bourbon-Lancy. » Cassandre déclare la disparition de son éleveur de vaches charolaises de mari alors qu’elle sait parfaitement où il se trouve : dans le congélateur du sous-sol de leur maison. Si au début du roman, se pose la question de savoir si Cassandre a tué Léon, on finit par comprendre rapidement qu’il n’en est rien. Léon ne parlait que très peu dans la vie courante. Cassandre sait qu’il a vécu quelque chose de terrible pendant la guerre d’Algérie alors qu’il n’était âgé que d’une vingtaine d’années. Elle ne connaît pratiquement rien de l’histoire de sa belle-famille n’ayant jamais été vraiment acceptée par sa belle-mère en raison de sa couleur de peau. Mais ce sont les lettres qu’elle reçoit régulièrement depuis la mort, cachée, de Léon qui vont lui révéler la tragédie vécue par son mari et le lourd secret qui a pesé pendant toutes ces années sur sa vie et a eu une terrible incidence sur la sienne. Si au départ Cassandre n’a pas envie de lire ces lettres qui la blessent profondément, elle finira par comprendre que la vérité qu’elles recèlent va la délivrer de tout sentiment de culpabilité et lui permettre de vivre à nouveau. Corinne Royer a une écriture magnifique pour nous raconter la famille, ses drames, ses secrets, ses amours non-dites : » Mon Dieu, Lucien, comme c’est effrayant un homme sincère et aimant, ça vous bouleverse et ça vous laisse sans défense, sans plus aucun recours. C’est pour ça que j’ai caché les lettres, c’est parce que la peur me nouait les tripes, je savais que je n’étais pas à la hauteur de cet amour qui pouvait se passer du moindre signe de tendresse en retour, et si je l’avais été, si j’avais su me hisser si haut, je savais que jamais je n’aurais su trouver ni les gestes, ni les mots pour le dire, pour le dire si fort ».

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