Pierre-Arsène Leoni est un personnage récurrent d’Elena Piacentini, auteur d’origine corse et qui y pêche, à travers Pierre-Arsène ou sa grand-mère, une inépuisable source de dictons ou expressions savoureuses. Pour autant, Pierre-Arsène Leoni est aujourd’hui un continental comme sa maman de plume. Il va aller se balader du côté de l’est de la France pour enquêter sur les traces d’Aglaé Cimonard, membre de son équipe, dite Fée, surdouée de la cyber-enquête, renversée par une voiture et laissée pour morte un dimanche matin alors qu’elle faisait son footing. Se rendant compte qu’il ne connait rien de Fée, Pierre-Arsène n’en est pas moins motivé à retrouver la trace de celui qui a essayé d’assassiner un membre de son équipe… car l’appartement d’Aglaé a été forcé et visité. Pierre-Arsène Leoni part sur les traces du passé d’Aglaé Cimonard qui le mènent jusqu’à un centre d’accueil pour adolescents en détresse psychologique, avec soins médicamenteux à l’appui. On va donc vite se retrouver entraîné dans une sombre histoire de gros sous et de réputation d’un laboratoire pharmaceutique, dont un des directeurs associés a fondé le centre d’accueil duquel ont, qui plus est, a priori fugué trois jeunes gens mentionnés par Aglaé sur un bout de papier. Il y a plusieurs choses plus qu’intéressantes dans le récit d’Elena Piacentini.
Tout d’abord, tout ne repose pas sur l’enquête policière dont le thème est ici assez banal ; il faut aussi et surtout s’intéresser, comme nous y invite Elena Piacentini, aux personnages dont aucun n’est réellement secondaire. Il y a certes les personnages récurrents de Pierre-Arsène Leoni, de sa grand-mère Angèle, de sa copine médecin-légiste Eliane (Pierre-Arsène est un père veuf, affublé d’une petite Lisandra qui pour l’heure babille plus qu’elle n’intervient), des différents membres de l’équipe de Pierre-Arsène. Mais il y a aussi, et dans un registre équivalent aux précédents nommés, l’hôte du gîte dans lequel descendent Pierre-Arsène et Eliane, le gendarme sur la retraite qui va seconder, avec son assistante, Pierre-Arsène, Elias Marchal, le fondateur du centre d’accueil, la directrice du centre, l’âme noire damnée du laboratoire pharmaceutique en charge de la sécurité, etc… une vraie galerie où chacun a droit à une vraie profondeur et un vrai caractère.
Il y a ensuite un cadre dans lequel Elena Piacentini inscrit son histoire. Et Dieu sait qu’on a l’impression d’y être. On se voit en forêt sur les pas de Pierre-Arsène ou d’Eliane, on sent, n voit, on ressent la même chose qu’eux. Et cette transmission qui se fait d’Elena Piacentini au lecteur via les personnages de son roman est portée par le style de l’auteur. A la fois fluide et mûrement réfléchit, le style est en tout point parfait. Il passe par un choix constant du mot juste et pertinent, par un souci de les placer aux bons endroits, de les intégrer à son récit pour donner une impression de perfection bluffante. Les mots concordent parfaitement avec les propos de l’auteur, chose suffisamment rare pour être soulignée. Au-delà dus tyle, il y a aussi une justesse de ton et d’idées véhiculées par le livre qui m’ont fait le dévorer littéralement alors qu’il n’est absolument pas construit sur le modèle de la pléthore de page-turners (au demeurant très divertissants) que l’on trouve sur le marché qui pêchent parfois par le fond qu’ils proposent. Ce cadre de la forêt symbolise aussi parfaitement, dans les lacets des chemins qui la traversent et qui slaloment entre les arbres, la complexité des âmes et des esprits. Elena Piancentini se pose en docteur des sentiments et les décortique avec brio à travers les relations professionnelles ou personnelles qui existent entre Pierre-Arsène et Eliane, Elias et la directrice du centre, le gendarme Gélinier et son assistance, etc…
La psychologie des personnages et de leurs relations est un élément essentiel du livre d’Elena Piacentini et particulièrement maîtrisé. Vous vous doutez bien qu’après tout ça je ne peux que vous recommander ce coup de cÅ“ur ! « Léoni se tut pour écouter à son tour. Certaines enquêtes, pour des raisons inaccessibles à une logique immédiate, vous pétrissent. Pas nécessairement la première ou la plus sensationnelle. Souvent celle qui se refuse. En la matière, le Corse ne connaissait pas de règles. Des plaines boueuses du bête, méchant, moche, absurde, minable aux abîmes de la démence jusqu’aux cimes du chevaleresque, chaque affaire criminelle constituait une rencontre. Avec le meilleur et le pire de soi-même et ce que la finitude peut avoir de poignant. Et tout cela fermentait et entrait en résonance jusqu’à vous lever l’âme et vous tordre les os pour façonner un autre homme. A la façon dont Gélinier rapporta les évènements tels qu’ils lui avaient été contés, Léoni devina que les circonstances de la mort d’Anna Demange-Marchal avaient été pour son mentor de ces histoires qui s’enkystent dans la mémoire. » « Elle examina la pièce dont l’agencement et les éléments de décor chuchotaient le passage d’une femme et hurlaient son absence. »