Imaginez que vous deviez partager vos parents avec un chimpanzé, qu’ils considèrent comme votre sœur. Une sœur, prénommée Pépée, à laquelle ils passeraient tous les caprices, tant ils la trouvent intelligente et drôle. « Pépée avait pris le pouvoir, elle ne le lâcherait plus. A la maison, tout doucement la folie s’installait… Le malheur était en route », constate sobrement Annie Butor. La mère d’Annie, Madeleine, rencontra Léo Ferré en 1950 et l’épousa deux ans plus tard. A l’époque, le poète était maudit, le chanteur inconnu, mais l’homme était très amoureux et le beau-père affectueux. La famille Ferré vivait dans la pauvreté, avec l’espoir, ou plutôt la certitude, que le talent de Léo serait enfin reconnu. Annie se souvient d’une vie de bohême, où le quotidien tournait autour des mots et des chansons, destinés aux seuls intimes faute de public. En 1954, Bruno Coquatrix l’invite à l’Olympia, en première partie de Joséphine Baker. Des vedettes commencent à interpréter ses textes et peu à peu, la notoriété, puis la célébrité arrivent. C’est à cette époque que Pépée fait une entrée fracassante dans l’existence de la famille Ferré. Ce récit est un mélange de souvenirs personnels et de belles rencontres, et le générique, éblouissant, des figurants qui traversèrent la vie de Léo Ferré donne le tournis, même si peu d’entre eux trouvèrent grâce aux yeux de cet homme qui avait la haine facile. Le seul « happy end » de cette histoire est qu’Annie Butor a trouvé le courage de remonter le courant de ses souvenirs. « J’essaie de m’arranger avec mes fantômes, et enfin de laisser passer mon passé. » Mais, parfois, les fantômes restent fort envahissants.