Il y a des livres qu’on dévore sans l’avoir prévu. Ecrit par un ex-commissaire devenu romancier, scénariste, et auteur d’un blog prisé sur le site du quotidien « Le Monde », cet ouvrage qui retrace l’histoire de la lutte antiterroriste depuis 1982 éclaire le présent avec une acuité à la fois accablante et… amusante, malgré la gravité des enjeux. Alors qu’on ne parle généralement de l’antiterrorisme qu’à partir des experts les plus médiatiques ou politiques, le commissaire Moréas est allé interroger ses ex-collègues, des hommes de terrain qui se sont concrètement confrontés aux terroristes mais dont on a totalement oublié le nom. Et c’est passionnant.
Qui se souvient par exemple de ce flic de base, André Douard, blessé d’une balle dans le chaos de la fusillade de la rue des Rosiers, chez Goldenberg ? Qui sait comment la police a pu savoir où se planquait la bande d’Action directe, à Vitry-aux-loges ? Dans le livre, c’est un policier inconnu des médias, Jean-Pierre Pochon qui le révèle. Nul sentimentalisme dans ce recours aux flics de base. Car l’histoire officielle est présente, très clairement balisée. Mais les souvenirs des uns et des autres aèrent et humanisent le récit assez technique réalisé par Georges Moréas et rappellent à chaque page à quel point les succès de la lutte antiterroriste – et parfois ses échecs – sont affaires d’hommes et non de textes. Certes, il en fallait et ils sont là, les textes, nombreux, touffus, répétitifs ou contradictoires – c’en est comique et déprimant. On voit bien comment, décennie après décennie jusqu’à récemment, les politiques se battent contre les mêmes difficultés, guerre des polices en tête, et y répondent par les mêmes perpétuels vœux pieux doublés d’un empilement de « nouvelles » structures transversales censées y remédier et de lois volontiers qualifiées par l’auteur de liberticides. Pour un bilan dont l’efficacité peut laisser sceptique.
En remettant en perspective les attentats d’aujourd’hui à la lumière du passé, Georges Moréas, qui sait de quoi il parle, observe à quel point on oublie que notre sécurité intérieure est liée à notre action extérieure et que les attentats en sont la rançon. « Les Français, demande-t-il, doivent-ils continuer à singer les Américains et se prendre comme eux pour les gendarmes du monde ? […] Les guerres d’Afghanistan, d’Irak, de Libye, du Mali… Ont-elles été utiles ? » En conclusion, Moréas assène : « La France perd son âme », en stigmatisant une population dont les jeunes privés d’espoir risquent d’autant plus de se radicaliser, et en réagissant de façon spectaculaire à court terme au lieu de viser au-delà des quinquennats. Nos années 80 ont été frappées par des attentats à répétition dont on parlait beaucoup moins, alors qu’aujourd’hui on brode indéfiniment sur du vide et on entretient un climat de peur qui nous pousse à la faute. «Et comme, malgré tout, les résultats ne sont pas au rendez-vous, à mon avis, il y a encore un truc à essayer : réfléchir ! »