Rencontre avec Fabienne Verdier
. FABIENNE VERDIER: RETOURS AUX SOURCES Lorsqu’on rencontre Fabienne Verdier, on comprend ce que « vocation » veut dire. Quelque chose qui vous habite depuis toujours, vous pousse à quitter à l’école, à consacrer votre vie à cette passion. Une vocation qui l’a d’abord conduite en Chine, puis, hasard de la vie, l’a mise ensuite sur le chemin de la galeriste suisse Alice Pauli, grâce à laquelle sa carrière s’envola. La consécration vient aujourd’hui du musée Groeninge de Bruges, où elle répond, en peinture, à six chefs d’œuvre de la peinture flamande. Un rendez-vous qui fut plusieurs fois repoussé, tant elle n’arrivait pas à bout de cette mission plutôt paralysante. Imaginez, se confronter à Van Eyck , Van der Weyden ou Memling. Mais elle a relevé le défi avec maestria. L’occasion de revenir sur la destinée hors du commun d’une artiste qui l’est tout autant. A vrai dire, « carrière » n’est pas le terme approprié lorsque l’on évoque Fabienne Verdier tant il s’agit plus simplement d’une manière d’être et de vivre que d’un métier. Elle se souvient d’une enfance, déchirée entre une mère et un père divorcés, mais tous deux grands amateurs de peinture et qui ont transmis leur amour de l’art à leurs enfants. « Mais surtout, j’étais très malheureuse à l’école. Je n’avais qu’un désir, m’échapper. » Ce qu’elle fait à quinze ans. Elle quitte sa mère pour rejoindre son père qui, retour à la nature d’après mai 68 oblige, s’est installé dans une ferme du sud de la France. Là-bas, pour lui prouver qu’il ne s’agit pas d’une lubie, elle peint durant des journées entières. « C’était dur, et je suis restée trois ans dans ce huis-clos. Mais je crois que cette discipline ascétique m’a permis, plus tard, de résister aux conditions de vie en Chine. » A dix-huit ans, elle entre aux Beaux-Arts de Toulouse, mais peine de nouveau à se plier aux contraintes d’un système scolaire. « Très vite, mes professeurs m’ont dit: on ne peut rien vous apprendre de ce que vous cherchez. Peut-être faudrait-il que vous partiez en Asie. » Elle reçoit une bourse pour la ville de Chongqing, au pied du Tibet. « Je ne savais pas que ma vie allait basculer. Une tante ethnologue m’a aidée à préparer le voyage, à être à l’écoute de tous ces vieux lettrés bannis par la Révolution culturelle, des personnes rares qui prennent des risques pour vous transmettre leurs connaissances. J’étais la première étrangère à arriver là-bas. » Elle y restera dix ans, tombera gravement malade plusieurs fois, s’épuisera, mais y trouvera de quoi nourrir son inspiration et d’inventer même un nouveau langage pictural. De retour à Paris, elle décrit son expérience dans « Passagère du silence », qui remporte le prix des lectrices de ELLE en 2004. Alors qu’elle est invitée à la télévision pour en parler, Alice Pauli la remarque et vient lui rendre visite dans son atelier. Elle la fera ensuite entrer dans toutes les grandes collections d’art. Aujourd’hui, Fabienne vit à la campagne avec son mari, qui a arrêté de travailler pour l’aider, et leur fils. Elle a besoin d’espace, car elle peint avec des immenses pinceaux, dont certains nécessitent pas moins de 40 queues de cheval. Ils sont si lourds, que pour les déplacer sur la toile posée à terre, elle leur accroche un guidon de vélo. « La calligraphie que j’ai découverte en Chine, est un art de vivre, un art d’être au monde. Au fond, il n’y a pas de grande différence entre un Cézanne, un Monet ou un grand maître chinois. » Et encore: « ce que m’ont enseigné les lettrés, c’est de se laisser pénétrer par la complexité des formes de la nature, qui se transforment dans votre cerveau en une banque de données extraordinaire. Un jour, ces formes deviennent vôtres et naissent d’elles-mêmes sur la toile. » Aujourd’hui, pour Fabienne Verdier, la boucle est bouclée: « les maîtres flamands sont mes premières amours et en préparant cette exposition, j’ai retrouvé ce que j’avais compris à l’autre bout de la terre, cette sacralisation de la relation de l’homme avec la nature. » A l’occasion de l’exposition qui se tient au musée Groeninge à Bruges jusqu’au 25 août 2013, deux livres exceptionnels viennent de paraître. On retrouve et les oeuvres exposées et tout le cheminement de l’artiste dans un magnifique catalogue, « L’esprit de la peinture » (Albin Michel), réalisé sous la direction de Daniel Abadie, commissaire de l’exposition. Par ailleurs, les cahiers de notes, qui précèdent ses tableaux, font l’objet d’un petit livre plein de charme et remarquablement édité « Fabienne Verdier et les Maîtres flamands » présenté et annoté par Alexandre Vanautgaerden, directeur de la Bibliothèque de Genève. |
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