Alice survit, suite au décès accidentel de Sally, sa fille aînée, au milieu d’une dépression, de son mari, Julien, et de son fils Jack, 3 ans. Plus vraiment de vie de couple, un désir presque morbide de remplacer Sally par une nouvelle fille, des amis impuissants autant que doubles (Gilles, Judith), un beau-frère trouble… la vie d’Alice ressemble à tout sauf au pays des merveilles. Et tout cela ne fait qu’empirer à partir du moment où Alice se retrouve avec dans les mains un échange de mails entre son mari et une certaine Myriam qui aurait disparue.
A partir de là, Muriel Houri, déjà croisée dans « Menaces » prend un malin plaisir à détruire les quelques rares repères que possédait encore Alice en lui faisait découvrir petit à petit que toute sa vie n’est basée que sur une succession de mensonges, qu’elle ne vit qu’entourée de menteurs au premier rang desquels trône son mari sans pour autant que les autres personnages de l’entourage d’Alice soient en reste. Muriel Houri brouille parfaitement les pistes entre les coupables potentiels et successifs… si tant est que tout le monde ne soit pas un peu (beaucoup) coupable de quelque chose dans cette histoire (ficelle dont Muriel Houri faisait déjà usage dans « Menaces ») dont les racines vont piocher dans la jeunesse de Julien, le mari, et de son frère, Martin durant laquelle une autre disparition a eu lieu. Personne ne dit la vérité, ni sur ce qui se passe ni sur soit même, rajoutant là encore une dose de confusion dans l’esprit d’Alice (et dans celui du lecteur) qui se laisse jeter d’une hypothèse à une autre, d’une découverte à une autre, pauvre fétu de paille dans les mains de son entourage qui la manipule jusqu’à ce qu’elle décide de reprendre le contrôle de ce qui lui arrive. Et là, mes aïeux, il faudrait toujours se fier aux bons vieux dictons et ne jamais réveiller l’eau qui dort parce qu’au réveil, elle devient torrent et emporte tout sur son passage. Quand la marionnette Alice décide de briser les chaînes qui la relient à ses multiples manipulateurs, elle découvre une liberté et une force qu’elle ne soupçonnait pas et qu’elle retourne bien évidemment contre ceux qui la maintenaient dans un carcan, bien décidés à la contenir jusqu’au bout. Alice est une louve trop longtemps gardée en captivité, surprise par sa nouvelle liberté et prête à tout pour protéger sa meute… En filigrane, sans que cela soit développé formellement par Muriel Houri, le livre fait réfléchir sur le principe de culpabilité : peut-on, et si oui comment, vivre avec le sentiment de culpabilité chevillé au corps ? Alice y apporte une réponse toute personnelle dont je ne suis pas certain qu’elle ne dénote pas une certaine démence si ce n’est une démence certaine…
Elle m’a fait penser au personnage du film « Serial mother » qui assassine à tire-larigot comme on va faire ses courses : le plus naturellement possible… Muriel Houri mène sa barque sur cette rivière d’abord calme puis tumultueuse avec, me semble-t-il, un style moins percutant que dans « Menaces ». Peut-être joue-t-elle sur trop de ressorts narratifs différents, peut-elle s’attache-t-elle moins à l’atmosphère que dans son précédent livre (ce qui en faisait une des clefs de sa réussite) et ne pousse-t-elle pas assez la psychologie de certains personnages (Martin, par exemple, mériterait que l’on se penche un peu plus sur son caractère et les relations conflictuelles entre Julien, Martin et leur père nécessiteraient plus de développements au même titre que le personnage du bon samaritain qui débarque dont ne sait où, passe et disparaît dans l’histoire sans qu’on comprenne bien ce qu’il vient faire là à part faire avancer Alice vers le bout de son tunnel)… Peut-être un peu de tout cela fait-il que ce « Jeux tue ils » soit un tout petit peu en-dessous de « Menaces » mais reste toutefois un excellent cru chez Flamant Noir et propose une fin aussi surprenante que maléfique et tortueuse qui vaut son pesant de froideur perverse !