Henry Winkles est un policier londonien handicapé par un accident : boitant, souffrant parfois atrocement, il n’est plus un homme de terrain et dans le Londres victorien contemporain de Sherlock Holmes (Henry critique mais dévore néanmoins les publications de Conan Doyle dans le Strand) ce handicap attire sur lui la suspicion de ses collègues et de la société. Il reste néanmoins en poste par l’entremise de son supérieur hiérarchique et ami mais cantonné aux affaires subalternes. « Billy » William Bennet est un jeune orphelin vivant dans les rues et recueilli par Henry Winkles qui l’emploie comme garçon à tout faire et aide au quotidien. Billy dispose d’un talent rare pour le dessin et aide parfois Henry dans ses enquêtes. Celui-ci se retrouve sur deux affaires simultanément : une série d’assassinats de chiens dont les corps sont abandonnés dans les sous-sols métropolitains et glauques de la capitale et le mort d’une jeune femme dans les quartiers mal famés de Londres pour laquelle la police a conclu à une simple agression pour vol ce dont sa sœur, Alice Pickman, doute fortement. Mine de rien, après un début de récit assez classique, Gaëlle Perrin-Guillet arrive à entraîner le lecteur dans ce Londres victorien, qui entremêle aristocratie et pauvreté à peine séparées parfois d’une seule rue, engoncé d’un côté par la primauté de l’apparence et de l’image et de l’autre par les préjugés petits bourgeois qui englobent aussi bien le regard de la société sur les personnes physiquement différentes que sur la place de la femme. A ce titre, Henry et Alice sont symptomatiques : l’un à travers son handicap stigmatisant et Alice pour ce qu’elle est à savoir une femme qui use d’un nom pour paraître ce qu’elle n’est pas tout en étant ce qu’elle ne laisse pas paraître. Alice ajoute à son caractère un anticonformisme exacerbé par le regard sans préjugés qu’elle accorde à Henry et par un côté garçon manqué pleinement assumé y compris devant la société londonienne. On sent bien qu’on est à un tournant de l’évolution de la société, que ce soit celle de Londres ou d’ailleurs, ne serait-ce que par l’antagonisme entre la religion et la science, le combat semblant s’orienter vers une victoire de la seconde sur la première, celle-ci n’étant pourtant pas avare d’opérations de déstabilisation de la science. Henry Winkles patauge dans tout cela, au milieu de ses collègues peu ouverts d’esprit, pour faire ressortir l’étincelle de vérité au milieu des deux imbroglios qui lui échoient. Il y parvient d’autant mieux qu’il est parfaitement secondé par Billy dont une partie du passé nous est dévoilé. Henry et Billy sont de dignes héritiers du Siècle des Lumières dans la noblesse de leur cœur, dans leur soif de découvrir la vérité, dans leur volonté de faire évoluer une société parfois étriquée. Noble ne signifiant pas innocent, Henry et Billy promènent leurs passés et leurs failles mais en les mettant au service d’un objectif qui les dépasse sans qu’ils s’en rendent bien compte. C’est enlevé, efficace, plein de rebondissements et le Londres de Gaëlle Perrin-Guillet est crédible. Nul doute que Henry et Billy devront revenir pour d’autres aventures : tout n’a pas été dit sur ces deux personnages ni sur la relation entre Henry et Alice… Mais chut, cela est pour un autre livre…