Avec « La colonie », Chris Dolan nous offre un aller simple romanesque pour La Barbade du 19e siècle en compagnie d’une jeune comédienne pleine de ressources.
Les trois coups frappés, le rideau s’ouvre sur la lande écossaise pluvieuse, parcourue par une pauvre troupe de théâtre itinérant dont le public se compose habituellement de marins oûls et braillards. Autant dire que lorsque Lord Coak, un riche planteur en voyage, croise le chemin d’Elspeth Baillie, comédienne prometteuse de dix-neuf ans, et lui offre une carrière à La Barbade, la jeune femme saisit sa chance. C’est ainsi qu’en 1831, un mois après avoir quitté la compagnie familiale, Elspeth débarque à Bridgetown, la capitale de l’île sous domination britannique. Tout l’éblouit, le soleil, la mer, la bonne société, les aventures galantes, le vrai théâtre où elle s’apprête à faire ses premières armes. Mais en une nuit, son rêve vole en éclats avec le passage d’un ouragan des plus dévastateurs qui laisse le territoire en ruines. Recueillie par Lord Coak, Elspeth voit son destin basculer. L’exploitant ambitionne de moderniser la culture de la canne et le raffinage du sucre, et propose à sa protégée de l’aider à mener à bien son projet autarcique. Le refuge se referme alors sur Elspeth et se transforme à son insu en prison à ciel ouvert, où elle-même jouera un rôle trouble, guidée par l’intendant, le mystérieux et eugéniste capitaine Shaw. Des planches au phalanstère colonial, tel est le destin d’Elspeth, qui endosse le rôle de maîtresse du domaine sucrier. Jusqu’à quel point sera-t-elle dupe de ce qui se trame autour d’elle, de l’esclavage théoriquement aboli mais perpétué sous forme de travail collectif pour le profit de quelques-uns ? Tandis que cohabitent maîtres, ouvriers, esclaves, immigrées écossaises, Noirs et Blancs, la réflexion sur le libre-arbitre est mise à l’épreuve.
On ne s’étonne guère que Chris Dolan soit aussi scénariste, car la narration menée tambour battant est très visuelle, et les personnages sont formidablement incarnés dans des scènes où la légèreté alterne avec un romantisme égratigné, cependant que le drame sourd derrière les falaises de ce nouvel éden, où les bannis du Vieux monde épanchent leurs passions. Belle réussite que ce roman envoûtant et prenant qui évite l’écueil de l’exotisme superficiel.