Ce premier roman a surtout fait parler de lui parce que son auteur-mystère a refusé tout net qu’on lui remette le prestigieux prix Goncourt du premier roman dont il a été honoré le 9 mai dernier. On ne connaît presque rien de ce romancier et seule une photo de lui de trois quarts de dos circule. S’en est suivie une polémique du type: mais pour qui se prend-t-il ? Pour Gracq qui avait refusé le Goncourt en 1951 ou encore Sartre avec le Nobel en 1964 ? La rumeur d’une imposture à la Ajar/Gary a même bruissé dans le milieu germanopratin. Son éditrice chez Actes Sud a dû s’exprimer officiellement pour clore les débats: Andras serait bien Andras et personne d’autre.
Quand on ouvre ce livre, on ne peut faire totalement l’impasse sur ce bruit du monde de l’édition. Une certaine curiosité nous amène à y regarder de plus près. Mais lorsque l’on referme cet ouvrage, que l’on dévore d’une traite, on ne retient qu’une chose : ce roman est bien plus que le supposé coup médiatique qui l’accompagne. C’est surtout et avant tout un « grand » premier roman. Un texte resserré de 140 pages sur un sujet poids lourd de notre grande histoire qui est passé totalement aux oubliettes de la mémoire. Une sorte de tache ou plutôt d’angle mort que l’auteur fait réapparaître à mots tendus pour éveiller nos consciences endormies.
Condamné à mort, exécuté par le gouvernement français le 11 février 1957 pour un sabotage qui n’a fait aucun blessé, aucune victime : voilà le sort kafkaïen qui a été réservé à Fernand Iveton. Un châtiment ultime, en l’absence de tout crime. Seul Européen guillotiné de la guerre d’Algérie, cet ouvrier communiste de trente ans a payé de sa vie, un acte symbolique d’anticolonialisme. Proche du FLN, il voulait frapper les esprits en posant une bombe dans un local désaffecté de son usine à Alger, sans mettre la vie de quiconque en danger. La bombe n’explosera pas, mais sa tête tombera.
Ce livre est une réparation apportée à une décision indigne du gouvernement de l’époque. Mitterrand en faisait partie, il était alors ministre de l’Intérieur. Il se « rachètera » de cette faute qui l’obsédait en faisant abolir la peine de mort dès le début de sa présidence. Joseph Andras redonne littéralement corps et vie à cet homme sacrifié, à qui il rend justice. On suit Iveton, les préparatifs de son action, la réalisation de son sabotage raté, son arrestation, les séances de torture, la fameuse « question », jusqu’à son incarcération puis enfin son insoutenable exécution : « Il est cinq heures dix lorsque la tête de Fernand Iveton, numéro d’écrou 6101, trente ans, ». Une phrase qui se termine par une virgule comme une lame qui coupe net le fil de l’histoire, le fil d’une vie. Si le lecteur est pris avec le héros dans l’étau de cette insupportable sentence, ce livre raconte aussi et cela a son importance, une belle histoire d’amour à travers la relation passionnée qui le lie à Hélène « qu’il aime comme elle l’aime » et dont sont ravivés les souvenirs des moments où leurs corps amoureux et fiévreux se rencontraient. Éros s’unit alors à Thanatos pour qu’en dépit de la mise à mort, une force de vie l’emporte : « L’un avec l’autre, l’un par et pour l’autre ».