Dans son nouveau roman, l’un des plus stimulants de cette rentrée étrangère, Antonio Munoz Molina traque l’assassin de Martin Luther King lors de sa cavale à Lisbonne où il passe neuf jours, avant d’être arrêté à l’aéroport de Londres. Entre thriller et art du roman, voici une reconstitution pas à pas qui n’a rien à envier aux enquêteurs de police les plus perspicaces. Le 4 avril 1968 à 18h01, Martin Luther King, prix Nobel de la paix et militant non-violent des droits civiques pour les Noirs, est assassiné par balle sur la galerie du Lorraine Motel, à Memphis, Tennessee. Son meurtrier, James Earl Ray, prend la fuite sous le faux nom de Ramon George Sneyd, et, bien que recherché par le FBI, se retrouve deux mois plus tard à Lisbonne, seul, fauché, projetant de s’embarquer pour une colonie portugaise en Afrique. Les blancs de son escale lisboète laissent le champ libre à notre auteur, pour qui cette ville est aussi associée à une crise personnelle. En janvier 1987, alors qu’il est marié, père de famille et fonctionnaire à Grenade, Antonio Munoz Molina veut larguer ses amarres conformistes pour le mirage romantique de l’écrivain errant et maudit. Il termine son deuxième livre, « L’hiver à Lisbonne », après un voyage éclair dans la capitale portugaise où il passe trois jours à déambuler, le regard vaguant sur le Tage qui se jette dans l’Atlantique et invite à l’aventure. Pour décrire le séjour clandestin de James Earl Ray, il se sert de son expérience, superposant l’espace et les temporalités, faisant coïncider les paysages et ce vertige de bout du monde. Deux romans s’enchevêtrent ainsi : celui, autobiographique, de l’auteur devenu personnage, produit de ses souvenirs et de son imagination, et celui de l’assassin mégalomane, admirateur de James Bond, délinquant de droit commun avant d’être coupable du meurtre du célèbre pasteur noir. Ray est filé comme dans un thriller anglo-saxon, documenté ici par les archives et les témoignages les plus fous qui ont couru lors de son évasion. L’auteur enquête et crée un suspens nourri de détails obsédants, d’événements réels ou inventés, comme autant de portes entrouvertes sur de nouvelles conjectures. Pour Ray, Lisbonne n’est qu’un point de chute temporaire, mais un point étirable à l’infini sous la plume du romancier, qui avoue aussi ses propres limites relatives aux zones d’ombre jamais élucidées, et qui alimenteront plus tard les spéculations des théoriciens du complot, dont au premier chef l’inculpé lui-même.