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nuit blanche
L’incandescente, une ode à la liberté
Claudie Hunzinger avait commencé son exploration familiale avec Elles vivaient d’espoir (Grasset, 2010) où elle racontait l’histoire de sa mère, d’abord amoureuse d’une jeune fille, Thérèse, puis d’un homme, Marcel. Fort heureusement pour nous, elle n’en avait pas fini avec l’amour fou. Car avant Thérèse, il y a eu Marcelle, qui a précédé Marcel, le père de Claudie. En rangeant des cartons, elle a retrouvé des lettres, des dossiers, des cours de littérature de Marcelle. Des souvenirs fascinants pour l’auteur qui est aussi artiste et qui à la nostalgie de cette époque révolue où on s’envoyait des lettres et où on les gardait. «Peut-être ma civilisation sait-elle en secret que rien ne lui survivra» écrit-elle au moment de repartir en exploration, en cherchant à reconstruire l’histoire de sa mère et des femmes qui l’ont accompagnée tout au long de sa vie. Les filles du feu
De toute façon, c’est vrai, je suis une inconditionnelle de Claudie Hunzinger : je guette son nom sur les présentoirs des librairies et lorsqu’un livre d’elle sort, je me jette littéralement dessus. Je ne le lis pas tout de suite, oh non… je fais durer le plaisir. Je le tourne et le retourne, scrute dans les moindres détails la couverture, lis quelques pages, par ci, par là, pour me mettre l’eau à la bouche, et puis j’y vais, je fonce. Je ne suis jamais déçue. Jamais. Je reconnaîtrais son écriture entre mille, pleine de sensualité, de poésie, de couleurs, d’odeurs, de sensations. Parfois je m’arrête dans ma lecture, comme frappée de beauté : une phrase toute simple, là, inattendue, légère, pleine de poésie, me transporte. C’est magnifique. Je fais une pause et la relis. Et je crois que pour L’incandescente, Claudie Hunzinger s’est surpassée (mais je dis peut-être ça à chaque fois que je termine un de ses livres !) Le sujet ? La narratrice (Claudie ?) a quinze ans lorsqu’elle trouve, au fond d’une vieille armoire de famille, dans les affaires de sa mère disparue, un carton de lettres de jeunes femmes, des « enfants terribles », condisciples de l’École normale d’institutrices. Celles qui retiennent particulièrement son attention sont signées : Marcelle. La narratrice, en parcourant cette correspondance, se rend compte que la jeune femme « habitait un recoin » de sa famille, qu’elle était là, sans être là. Parce que sa mère l’avait aimée. Marcelle écrit beaucoup, plusieurs fois par jour. «Voulant vous cacher que vous me plaisiez, je ne vous cachais pas que vous me déplaisiez ». Elle est une séductrice, Emma ne résiste pas. Les deux femmes sont très différentes : « Si dès le début, Emma écrivait avec un projet littéraire derrière la tête, Marcelle, elle, écrivait pour envoûter Emma. » Marcelle ne compte pas, elle donne, elle s’offre, écrit des « lettres sauvages, exquises, vénéneuses ». Elle aime les fleurs, en dispose dans toute sa maison, en envoie par la poste, en parle dans ses lettres : « Je voudrais voir des roses, je voudrais voir du lilas, du lilas lourd, du lilas chaud, du lilas qui s’écroule ». Elle a « des crises d’adoration pour les fleurs ». Tandis que l’une veut devenir adulte, l’autre court dans l’autre sens, appelle les adultes « les barbares », grimpe aux arbres, court pieds nus dans la neige, se disperse, jaillit, rayonne, fille de feu insoumise. Elle « dit que le monde la possède et qu’elle veut le posséder en retour. » Emma, la sérieuse, la puissante, apprend, travaille, se concentre, aime aussi mais supporte mal que Marcelle lui fasse « connaître l’insoutenable expérience de la dépossession d’elle-même. » Elle a besoin de « garder le contrôle », de se maîtriser. La fille d’Emma va donc écrire le roman de Marcelle. Peut-être est-ce ce qu’Emma aurait voulu. Qu’elle « prenne en charge ce ballot de lettres ». Deux ans mythiques, de folies amoureuses, de danses dans les herbes. Puis, la séparation : Marcelle prend un poste en maternelle à Châtillon-sur-Seine, Emma poursuit en troisième année à Dijon et écoute attentivement les cours de Mademoiselle Aymé. Marcelle écrit : « J’aime ton sommeil mieux que ta vie. Tu m’appartiens mieux quand tu dors. », « Je déteste Mademoiselle Aymé et son règne qui vous intellectualise. Vous allez disséquer même mes lettres. », « J’exige votre affection », « Emma, vous avez l’amour de l’équilibre ; moi, celui de l’excès. Vous, plus de puissance de compréhension ; moi, plus de puissance de sensation. » 1928, Marcelle tombe malade : la tuberculose. Elle doit se rendre au sanatorium des Instituteurs de Sainte-Feyre, dans la Creuse, « genre de paquebot immobilisé au milieu du murmure des eaux… On y meurt atrocement. On meurt sans en avoir l’air. Lentement. » « Emma, si je meurs, m’écrirez-vous ? » lui demande-t-elle… On y vit aussi, comptez sur Marcelle pour faire du bruit, rire aux éclats, lire des poèmes… un vrai gang de jeunes filles tenant à peine debout et qui courent à perdre haleine dans les couloirs et les jardins… au risque de se faire renvoyer. Chaque jour, la narratrice, fille d’Emma, se plaît à lire les lettres de Marcelle, à retrouver Marcelle. Elle lui ressemble, songe-t-elle… Il y aura aussi les autres filles : Hélène, Thérèse, Marguerite dont les portraits et les mots parcourent les lettres : « Des êtres un peu fantastiques, hybrides, moitié chevelure de fée et sabre, moitié dragon et pieds nus. » Des femmes qui resurgissent, qui renaissent à travers les lettres : elles ont étudié, se sont aimées, ont souffert. Certaines sont mortes bien prématurément, d’autres ont été torturées, anéanties par l’Histoire. Mais, elles ont vécu. De chacune d’elles, il eût été possible d’écrire un livre, la tentation est grande parfois de s’aventurer du côté de Thérèse, petite Antigone, ou d’Hélène. Et puis, il y a un autre paquet de lettres dans l’armoire : celles de Marcel avec un seul l, écrites en allemand… C’est l’Histoire qui s’invite, « avec sa grande hache », comme disait Perec. Le mari d’Emma s’appelait Marcel : « les deux grandes passions d’Emma portaient le même prénom ». Il est des hasards dans la vie… En 1940, suite à l’annexion de l’Alsace par l’Allemagne, il faisait partie de ceux qui avaient dû se reconvertir par la force « de Français en nazi ». Parler du père aussi, peut-être, un jour… Des portraits flamboyants, généreux et sauvages de femmes vivantes et aimantes, sans retenue. Un hymne à la vie et à l’amour à l’état pur comme un diamant. Un texte de toute beauté qui brûle de sensualité et de folie, la folie de celles qui aiment, malgré tout. Retrouvez Lucia-lilas sur son blog |
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