Autisme
Valério Romao

traduit du portugais par Elisabeth Monteiro Rodrigues
Editions Chandeigne
bibliothe/lusit
septembre 2016
390 p.  22 €
 
 
 
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Le poids des maux

« Et le mieux pour tout le monde, y compris pour Henrique aurait été qu’Henrique n’existe pas ». Cette inavouable confession d’un père aimant à propos de son fils autiste, expression d’une abyssale désespérance tout autant qu’impuissance, est le cœur battant de cet incroyable premier roman. Puissant.

Rogério et Marta ont un fils unique atteint d’autisme. Alors qu’il a été renversé par une voiture à la sortie de l’école, parents et grands-parents se retrouvent aux urgences où le personnel médical les laisse dans le hall sans nouvelles de l’enfant. Est-il blessé ? Gravement? Mortellement? Commence alors pour eux une interminable attente sous stress, nourrie de tous les questionnements même les plus intolérables.

Un parcours du combattant

Les heures qui passent plongées dans l’angoisse ouvrent pour chacun l’espace intérieur pour revivre en éclats de miroir tranchants, le drame du handicap d’Henrique. De la triste découverte des retards physiques et mentaux de leur fils, à l’annonce comme une sentence du diagnostic implacable, jusqu’au parcours du combattant quotidien pour tenter de l’en sortir sans réelle structure d’accompagnement, on suit cette famille dans le chaos de leur quotidien.

Unité de temps et de lieu pour ce premier roman halluciné de l’auteur portugais Valério Romão, poète, traducteur, homme de théâtre. Il construit ici un récit polyphonique d’une grande maîtrise dont l’attente aux urgences en huis-clos est le pivot central d’une tension narrative à haut voltage. Il aborde avec radicalité toutes les perceptions même les plus dérangeantes que provoque l’autisme d’Henrique selon les personnalités de chacun. On prend la mesure de l’impact du handicap sur le couple de parents qui, au fil des pages, se désagrège tant il devient moins difficile pour eux de souffrir séparément qu’ensemble.

Un témoignage qui s’impose

Incompréhension, déni, espérance, regrets, remords, colère, révolte, illusion, désillusions et résignation. C’est au tamis de toutes ces émotions aussi violentes que contradictoires que nous fait passer l’auteur de sa langue d’acier qui pourfend toute notion de politiquement correct. Pour aboutir en fin d’ouvrage à une lettre au père d’une telle portée, qu’on en reste sans voix. Bouleversé.

Il y a des livres témoignages qui s’imposent comme des références littéraires cultes : « Mars » de Fritz Zorn sur le cancer, « Face aux ténèbres » de William Styron sur la dépression ou encore « Patrimoine » de Philippe Roth sur le deuil.

Sur le sujet concernant et très sensible de l’autisme (huit mille enfants autistes naissent chaque année en France) ce livre fera référence. C’est le premier tome d’une trilogie qui a pour titre « Paternités ratées » et l’on se réjouit d’avance de retrouver bien vite cette nouvelle voix de la littérature portugaise avec laquelle il faudra dorénavant compter.

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Seuls

Le petit Henrique vient d’être renversé par une voiture : ses parents Rogerio et Marta se précipitent aux urgences, rejoints rapidement par les grands-parents. Et c’est l’attente. Normal, me direz vous, aux urgences, on attend.
Sauf que là, on n’entre pas, on reste éternellement dans la salle d’attente, aucun médecin ne vient vous chercher, vous donner des explications, aucune infirmière ne vient soulager votre peine, vous rassurer. Il y a bien un interphone avec un code mais on ne le connaît pas, il y a bien un vigile qui surveille mais il demeure inflexible. Et l’on peut bien sonner, frapper, pleurer, crier, hurler, ça ne change rien. On reste à la porte sans trop savoir ce qui se passe derrière, si l’enfant renversé est encore vivant, s’il appelle, s’il souffre, si on est en train de l’opérer . Rien. On ne sait rien.
Le lecteur se trouve plongé alors dans un univers kafkaïen, métaphore de ce que vivent les parents confrontés à la maladie : l’autisme, en l’occurrence . Henrique, en effet, est autiste et vit presque coupé du monde, c’est ce que nous apprennent les flash-back qui viendront entrecouper la narration de cette attente sans fin aux urgences.
En effet, Henrique est un enfant différent : pas de communication, pas de mots prononcés, pas de volonté, pas de désirs. Un seul plaisir : faire tourner les objets sur eux-mêmes, des petites voitures par exemple et regarder en boucle les dessins animés . Ses mains s’agitent quand il est submergé par l’émotion. Et ses parents ressentent la terrible impression de ne pas entrer en contact avec lui, de ne pas avoir le code d’entrée, autrement dit, de rester à la porte. Comment être parent quand on n’est jamais appelé papa ou maman ? Comment tenir le coup au quotidien pour solliciter l’enfant des heures et des heures tous les jours ? Comment continuer à faire vivre son couple sans s’user, sans sombrer dans le désespoir, sans s’en vouloir et en vouloir à la terre entière ? Comment ne pas s’isoler ? Vers qui se tourner pour avoir de l’aide de médecins et de psychologues compétents ou de structures sans tomber dans les filets des charlatans prêts à profiter de la détresse de parents complètement perdus et prêts à croire au miracle ? Comment être tout simplement aidé, accompagné, soutenu ?
Et la porte des urgences ne s’ouvre toujours pas, impossible de franchir cette paroi de verre et la détresse de la famille s’accentue, à chaque heure, à chaque minute, frisant la folie et l’incompréhension la plus profonde. Cette image de la porte fermée montre à quel point le fait de ne pouvoir communiquer avec son enfant est vécu comme un martyre.
On reste à la porte de ce qui nous tombe dessus soudain et qu’il va falloir admettre : l’enfant qui est le nôtre n’est pas comme les autres. Après viendra le terrible diagnostic. Véritable couperet.
Autisme est un livre puissant parce qu’il dit la détresse infinie des protagonistes à travers une écriture au rythme souvent heurté, brisé, des phrases parfois longues et tortueuses, des passages versifiés, une langue à la fois soutenue et relâchée. Les mots parfois crus, violents reflètent le quotidien des familles, une épreuve, une lutte chaque jour renouvelée, une vie prenant la forme effrayante d’un mythe de Sisyphe infernal.
L’auteur, père d’un enfant autiste, n’a pas souhaité écrire un témoignage. Il a préféré la fiction pour exprimer sa douleur et raconter son expérience personnelle. Il dit que ce roman est « emprunté à sa vie ». Le genre du roman permet plus de distance par rapport au vécu de l’auteur et surtout autorise parfois certains passages comiques (et néanmoins désespérés) qui auraient été déplacés voire impossibles dans un témoignage.
Un texte dont la fin vous laisse totalement anéanti par l’émotion.
Magnifique et poignant.

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