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L’île aux enfantsLorsqu’on évoque Mayotte, on pense océan Indien, lagons turquoise, récifs coralliens, vanille et baobabs. C’est exotique, pourtant c’est la France, et non, la misère n’est pas moins pénible au soleil. Nathacha Appanah, d’origine mauricienne, déjà remarquée pour « Le dernier frère » (2007), nous montre les visages de cette île d’outre-mer dans un livre coup de poing. Cinq personnages se répondent dans ce roman choral, où vivants et morts racontent une tragédie. Marie, infirmière blanche d’origine métropolitaine, ouvre la voie en interpellant son lecteur : « Il faut me croire. Là d’où je vous parle, les mensonges ne servent à rien ». Marie a suivi son époux Mahorais à Mayotte où leurs premières années de mariage sont légères et radieuses. Mais le temps passe et aucun enfant ne paraît. Marie se désespère, son mari la quitte. Un bébé miraculeux Un jour presque comme les autres, des migrants venus des Comores voisines accostent l’île. Parmi eux, une jeune femme avec un nourrisson aux yeux vairons, un « bébé du djinn » que sa mère superstitieuse abandonne à l’hôpital. Marie le recueille et le prénomme Moïse. Dès lors, comme dans un conte de fées, sa vie est transfigurée, centrée sur ce fils à qui elle fait découvrir « L’enfant et la rivière » et « L’aigle noir ». Mais l’état de grâce ne dure pas ; à 14 ans, Moïse veut savoir d’où il vient, se rebelle et revendique ses origines. La mort brutale de Marie vient mettre un terme à sa vie de petit prince, et il se retrouve bientôt à Gaza, un bidonville oublié de la municipalité, une vraie poudrière où personne n’ose s’aventurer. Sur ce territoire à vif, des enfants de la misère, clandestins et illettrés, vivent de trafics en tout genre sous la botte de Bruce, le caïd des lieux. Pour Moïse, qui apprendra à ses dépens les règles du gang, c’est le début de la descente aux enfers. La grâce adoucit la violence Sans pathos ni fureur, Nathacha Appanah expose l’envers d’un décor paradisiaque. La narration polyphonique évite les mauvais procès ou la politisation, mais représente la complexité des êtres et l’humanité écorchée vive. Si le roman est pleinement réussi, c’est justement par ces personnages incarnés et les fantômes qui guident leurs enfants en détresse. Et puis, dans les interstices de la violence ordinaire, l’auteure réussit à insérer de vrais moments de grâce : le chant des oiseaux à l’étale de la marée, ou un flamboyant qui se penche sur un auteur provençal. Cet équilibre en fait un magnifique roman, poignant et fort, qu’on lit la gorge serrée et qui continue de nous habiter longtemps. Un énorme coup de cÅ“ur !
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L’embrasement…
Quelle claque, ce livre ! Je viens de le terminer et je me sens bouleversée, retournée, touchée au cœur, complètement soufflée par ce que j’ai découvert. Bien sûr j’avais lu des critiques positives à son sujet et justement, j’en attendais beaucoup ! Et franchement, ce que j’ai lu a dépassé toutes mes espérances : c’est un livre très fort et qui évoque dans une langue à la fois crue et poétique une réalité sociale déchirante : l’extrême pauvreté pour ne pas dire la misère et tout ce qu’elle entraîne avec elle que subissent de nombreux habitants et notamment les enfants et les adolescents du plus jeune département français : l’île de Mayotte dans l’océan Indien. Violence, délinquance, prostitution, meurtres, trafics de drogue et souffrances en tous genres, vies gâchées et perdues parce qu’il est impossible de se construire quand on est livré à la rue… Un de mes coups de coeur de cette rentrée littéraire … Dans ce roman polyphonique, c’est tout d’abord la voix de Marie que l’on entend et qui raconte qu’à vingt-trois ans, elle a quitté la vallée de son enfance pour préparer un diplôme d’infirmière. Elle mène une vie malheureuse et terne jusqu’à ce qu’elle rencontre le beau Chamsidine. A vingt-sept ans, elle se marie puis part à Mayotte. Le pays est magnifique et sent si bon. Elle est légère et espère porter rapidement un enfant. A trente ans, rien n’est venu et le beau Cham la quitte pour une autre. Deux ans plus tard, une clandestine attend avec un enfant emmailloté dans le hall de l’hôpital où Marie travaille. Elle est arrivée sur la plage de Bandrakouni par le kwassa sanitaire : elle montre les yeux de l’enfant. Il a un œil noir et un œil vert. Pour la mère, il est maudit : c’est un bébé du djinn, il va lui porter malheur. Le temps de préparer un biberon, Marie revient et trouve la chaise vide. La mère est partie, lui laissant l’enfant qu’elle adoptera et appellera Moïse. Chaque jour avec Moïse est un moment de grâce : ils jouent, font des pique-niques, lisent L’enfant et la rivière, écoutent Barbara. Leur chien Bosco les accompagne. Evidemment, cette belle histoire, vous vous en doutez, va mal tourner… C’est en prison que l’on retrouve Moïse, c’est de la prison qu’il va raconter son terrible parcours, comment il est devenu la loque qu’il est maintenant, comment un nommé Bruce, le chef du ghetto, celui qui s’appelait Ismaël Saïd quand il était un petit garçon et qu’il avait encore un nom, en a fait son esclave, sa bête… Le ghetto ? Oui, Mayotte n’est pas une île « où l’on joue du matin au soir » sous les bougainvillées, les frangipaniers et les manguiers qui embaument au soleil. Un quartier s’appelle Kaweni, pardon, « Gaza »: « c’est un bidonville, c’est un ghetto, un dépotoir, un gouffre, une favela, c’est un immense camp de clandestins à ciel ouvert, c’est une énorme poubelle fumante que l’on voit de loin. Gaza c’est un no man’s land violent où les bandes de gamins shootés au chimique font la loi. Gaza c’est Cape Town, c’est Calcutta, c’est Rio. Gaza c’est Mayotte, Gaza c’est la France. » Et l’on sent que ça va craquer parce que les gens ont faim, parce que les enfants plutôt que d’aller à l’école volent, rackettent et deviennent fous de drogues, parce qu’il n’y a aucun avenir pour eux ni pour personne. Et l’on ne peut même pas leur en vouloir, même aux pires : ils vivent l’enfer sur terre dans l’indifférence la plus totale. Ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, n’ont plus de nom, ne sont plus rien. C’est Olivier, le flic, qui dit cela. Il ajoute encore : « Depuis le temps qu’on prédit la guerre, qu’on guette le bruit des armes à feu et les cris des bêtes sauvages. Depuis le temps qu’il y a des articles, des reportages, des rapports, des missions, des visites, des pétitions, des pamphlets, des lois, des campagnes, des grèves, des manifestations, des émeutes, des promesses. Depuis le temps. » C’est étrange comme j’ai l’impression, ces derniers temps, de lire des livres qui semblent vouloir nous dire de faire attention, que tous ces gens privés de tout risquent de nous renvoyer à la figure, à tout moment, leur souffrance et leur haine. Je pense entre autres au magnifique 14 juillet d’Eric Vuillard et aux Nouvelles métropoles du désir d’Eric Chauvier. Et à ces gens là , ne leur dites pas que Mayotte, c’est la France, ils vous répondraient comme le fait Bruce en crachant par terre : « En France il y a des gens qui vivent toute leur vie dans les bois ? En France les gens mettent des grilles de fer à leurs fenêtres comme ça ? En France les gens chient et jettent leurs ordures dans les ravines comme ça ? » Même Stéphane, le bénévole de l’ONG, regrettait un peu de n’être pas parti en Haïti, au Sri Lanka ou au Bangladesh. Il pensait que partir à Mayotte, c’était un peu facile, limite « tourisme », il aurait aimé un truc un peu plus « chaud ». Il a à peine osé en croire ses yeux lorsqu’il a découvert le bidonville et s’est même demandé s’il serait à la hauteur, lui qui n’en a pas cru ses oreilles quand on lui a dit « que les équipements de l’île ont été conçus pour deux cent mille habitants mais qu’officieusement il y aurait presque quatre cent mille personnes sur l’île. » Alors, il a pensé que ça allait exploser, que ça ne pouvait être autrement. « Le pire est à venir » dira Marie… et elle a sûrement raison… « ce pays ressemble à une poussière incandescente et je sais qu’il suffira d’un rien pour qu’il s’embrase. » Un grand livre, puissant, éblouissant, violent et juste qui dénonce, à travers les voix de ce véritable chœur tragique, dans une langue fascinante de poésie, de sensualité et de cruauté, l’enfer de cette île « en trompe-l’œil », où la beauté est un leurre, un pauvre cache-misère qui ne dissimule plus rien. Fort, très fort ! Bravo, Madame Appanah, de tout cœur, bravo ! http://lireaulit.blogspot.fr/
coup de coeur
Le paradis est un enfer.
Mayotte, département français, situé dans l’Océan Indien à plus de 8000 kilomètres de Paris.
nuit blanche
Tropique de la violence… ou les secrets de Mayotte
De ce beau roman polyphonique, on retiendra d’abord la voix de Marie, bouleversante. Elle nous retrace une vie que l’on pourrait appeler ordinaire. Celle d’une jeune fille qui choisit d’être infirmière et qui, à 26 ans, croise Chamsidine dans les couloirs de l’hôpital. Il est beau et l’envoûte avec les histoires de son île nichée dans le canal du Mozambique. Deux ans plus tard, elle est mariée et habite à Mayotte. « Je respire l’odeur de ce pays que j’affectionne, je regarde le fond de l’eau, j’admire les femmes. J’aime observer les enfants qui viennent plonger dans la rade. » Une certaine idée du bonheur qui va se fracasser sur le tropique de la violence. Trompé par un mari qui n’a pu résister au charme des autochtones, Marie demandera le divorce en échange de la reconnaissance d’un bébé qui lui est confié. Moïse, ce nouvel amour va grandir, devenir un beau garçon plein de promesses avant de basculer au moment de l’adolescence, de se révolter. À la recherche de ses racines, c’est un sentiment de colère et de frustration qui domine au moment où il apprend la vérité sur ses origines. Il se sent « un moins que rien, une merde ». Il ne sera pas là le jour où sa mère s’effondre mortellement dans sa maison. Le jeune homme sera devenu un Djinn, un «être malfaisant» avec un œil vert et un œil noir, un assassin. Avec une belle habileté narrative Nathacha Appanah démonte ce système et nous fait toucher du doigt la «vraie vie» sur ce bout de France à 8000 km de Paris. Voilà Moïse qui prend la parole et raconte comment il en est arrivé à prendre une arme et tuer Bruce, pourquoi il ne lui reste de sa mère qu’une carte d’identité, son foulard en soie et le livre L’enfant et la rivière. Voici Bruce qui raconte comment on devient le chef de Gaza, ce bidonville qui ne peut être régi que par la force, par la violence et où tous seuls les trafics en tous genres font office d’emploi. Voici encore les voix d’Olivier, le policier qui ne peut que constater son impuissance ou encore celle de Stéphane, parti de France plein de bonne volonté au service d’une ONG prête à apporter son aide humanitaire et qui verra lui aussi s’envoler toutes ses illusions. En accueillant Moïse, il aura peut-être même provoqué sa perte. Au fil du roman, le lecteur constate avec désarroi combien cet endroit qui aurait pu être paradisiaque respire la violence, l’ignorance et le dégoût. Si, en réalité, tous les enfants qui naissaient là , où arrivaient des îles voisines en quête de France, n’étaient pas foutus d’avance et avec eux, « tous les garçons et les filles nés comme eux, au mauvais endroit, au mauvais moment. » Poursuivant son œuvre, l’auteur s’affirme. À la famille, un thème déjà très présent dans En attendant demain et dont elle nous offre une nouvelle variation ici, vient se greffer la question des origines admirablement traité par les différentes voix qui s’expriment successivement ainsi que celle plus politique du destin de ces petits bouts de France qui ne sont plus depuis bien longtemps la priorité des gouvernements, sinon pour illustrer la chronique des faits divers et alimenter les discours xénophobes. On ne peut que souhaiter qu’un Prix littéraire mette encore davantage ces questions en lumière. Retrouvez Henri-Charles Dahlem sur son blog
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