La fleur qui pousse à l’intérieur
à Dijon
illustration Brigitte Lannaud Levy
Voici un jeune couple qui vient de concrétiser son rêve le plus cher : créer une librairie. Clémence Roquefort a vingt-six ans, Julien Tardif en a trente et ils viennent d’inaugurer le 15 octobre dernier, sur la jolie place des Cordeliers, dans le centre piétonnier de Dijon, une librairie-salon de thé « La fleur qui pousse à l’intérieur ». Fraîchement sortis d’une formation au métier du livre et suite à une courte expérience dans l’édition, ils se sont forgés une conviction profonde : ne plus avoir de patron, être indépendants et vivre pleinement tout autant que librement leur passion pour les livres. Le projet d’une librairie–salon de thé s’est alors imposé à eux. Après avoir effectué une étude de terrain et suivant les bons conseils de Pierre Landry, mythique libraire de Tulle, ils se sont lancés. Le joli nom de leur enseigne est tiré de « Vous n’aurez pas ma fleur », une chanson du chanteur libertaire François Béranger, disparu trop tôt, sans faire de bruit en 2003 . La note est donnée, voici un lieu d’engagement pour la défense du livre, de la littérature, du bien vivre et du bien manger (les gâteaux sont faits maison et bio).
Quel est le roman français de cette rentrée d’automne qui vous a le plus marqué ?
« Au pays de la fille électrique » de Marc Graciano (José Corti). Un livre qui peut choquer tant le début est d’une cruauté sans nom puisqu’il décrit de façon insoutenable un viol. Si on survit à la lecture de la première partie, on assiste ensuite à une longue marche de la victime sur le bord des routes, comme un parcours de reconstruction vers une renaissance possible après l’abjection de la destruction. C’est magnifique, dans la tonalité de « La route » de Cormac McCarthy.
Et du côté des auteurs étrangers ?
C’est un livre de la rentrée de janvier , « Le garçon sauvage » de Paolo Cognetti (Zoé). En mal d’inspiration, cet auteur milanais âgé de trente ans se retire en montagne, dans le Val d’Aoste, et y tient son journal. Cette retraite en prise avec la nature, les éléments, les bergers, lui donne l’occasion de se retrouver lui même. Il y a une modestie, une humilité rare dans ce texte. On sent qu’il n’écrit pas pour le lecteur, mais pour lui, au plus près de sa sincérité.
Quel est le premier roman qui vous a séduit ?
« Hiver à Sokcho » d’Elisa Shua Dusapin (Zoé). Le livre raconte avec retenue et poésie, l’histoire d’une jeune franco-coréenne (comme l’auteure) qui rencontre au cœur de l’hiver dans une ville portuaire proche de la Corée du Nord, un auteur de BD français avec qui elle noue une relation toute en délicatesse et en douceur en dépit du choc de leurs cultures opposées . Un roman d’une grande finesse qui a reçu le prestigieux prix Walser 2016.
Quel est le livre-culte qui est pour vous le plus emblématique de votre librairie et que vous défendez avec ferveur ?
« 2666 » de l’écrivain chilien Roberto Bolaño (Christian Bourgois). Un grand et gros livre borghesien à souhait et que l’on ne peut raconter. On rentre dans un genre littéraire (entre polar et érudition) pour en sortir et en découvrir un autre, sans jamais avoir le fin mot de l’histoire. C’est magistral, une expérience de lecture hallucinante.
A qui donneriez-vous le prix Goncourt cette année ?
À Joseph Andras pour « De nos frères blessés » (Actes Sud) . Il a refusé le prix Goncourt du premier roman cette année et je trouverais amusant et très mérité qu’il soit honoré du Goncourt tout court. Son livre rétablit l’honneur de Fernand Iveton, ouvrier indépendantiste à Alger en 1956, qui a été injustement exécuté pour un projet d’attentat. C’est un texte important, à la mesure de l’injustice dénoncée et de la réparation qu’il apporte. C’est aussi une très belle histoire d’amour.
Une brève de librairie :
Quand nous parlions de notre projet de librairie-salon de thé, on nous a posé cette question surréaliste: « Et on pourra aussi acheter des livres ? »
Propos recueillis par Brigitte Lannaud Levy
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La fleur qui pousse à l’intérieur
5 place des Cordeliers
21000 Dijon
03 80 47 94 71