Bondrée
Andrée Michaud

Rivages
septembre 2016
379 p.  7,90 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Un polar dense et hypnotique

C’est un monde entre deux mondes, coincé entre les Etats-Unis et le Canada. Un ensemble de collines boisées nommées d’après un lac – Boundary Pond, Bondrée pour les francophones – et dont les familles des deux pays font chaque été un coin de paradis. Voisins, conjoints, parents et enfants, chacun s’y réconcilie avec lui-même sans déranger l’autre. Cette année-là, la belle harmonie est brisée un soir où une jeune fille s’enfonce dans la forêt pour ne jamais en revenir. Jolie et délurée, shorts ultra-courts et chevelure de feu, toujours un air des Beatles ou de Procol Harum aux lèvres, Elizabeth Mulligan s’attirait des regards de travers. Mais de là à lui vouloir du mal…

Une vision d’horreur

Oubliant leurs différences, les hommes ratissent la forêt. Au bout de leur battue, une vision d’horreur : « Zaza » prise dans un piège à ours. La machine à fantasmes se lâche. Certains voient dans sa mort un sombre rituel, la marque posthume d’un trappeur retrouvé pendu au fond des bois vingt ans avant. L’inspecteur-chef Stan Michaud, flic à l’ancienne, obstiné et mutique, ne croit pas aux légendes mais à bien pire : un authentique tueur caché dans la forêt, voire dans le village. La disparition d’une autre jeune fille, amie de la première, semble lui donner raison…

Aux tâtonnements de cet enquêteur à la fois usé et tenace, la romancière québécoise Andrée A. Michaud oppose les pensées toutes fraîches d’une fille de douze ans, grande admiratrice des deux victimes, dont elle enviait la liberté. Expérience d’un côté, curiosité de l’autre, leurs regards croisés mettent tout le monde à nu. Au travers des deux narrations, l’auteur cerne ainsi les désirs et les peurs de la communauté, tissant une atmosphère dense, pesante, où la nature tient le premier rôle.

Une véritable performance littéraire

Roman des grands espaces autant que policier, nourri des souvenirs d’enfances de l’auteur, « Bondrée » relève de la performance littéraire. Dans un flot d’images et de sensations n’entre aucun dialogue. Pas le moindre échange, ni même de monologue, ce sont les gestes et les attitudes qui parlent. Un parti-pris d’écriture qui ajoute à l’urgence de la situation, à la tension des personnages. On s’aventure dans ce livre un peu méfiant, comme dans une végétation épaisse, avant d’y progresser lentement puis de se laisser éblouir. Et si le tueur identifié à la fin n’est peut-être pas le plus convaincant, on apprécie qu’une partie du mystère, la moins rationnelle, continue de planer…

 

partagez cette critique
partage par email
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur nuit blanche

Promenons-nous dans les bois…

La magnifique couverture de ce livre représentant un lac entouré de conifères plongés dans une brume épaisse m’attirait irrésistiblement.
Et je n’ai pas été déçue, oh non, bien au contraire : tout ce que j’aime dans le roman noir se trouvait au rendez-vous : une intrigue bien ficelée, des personnages attachants avec une vraie épaisseur psychologique (ah ! l’inspecteur Stan Michaud, bien persuadé qu’ « aucune pierre ne dévale au bas d’une colline sans qu’un homme l’y ait poussée »), des lieux décrits avec minutie, lieux connus certainement de façon très intime par l’auteur, et qui plongent immédiatement le lecteur dans une atmosphère mystérieuse et envoûtante.
Enfin, une écriture magnifique, une langue à la fois poétique, onirique, sensible et capable de transcrire, à travers son rythme et ses mélanges d’anglais et de français, la folie de cette jeunesse qui, à l’été 67, se trouve en vacances au bord de ce lac situé aux confins du Québec, à la frontière du Maine.
Des chalets, des tentes, des barbecues, des chaises longues et des familles heureuses de quitter la ville pour vivre en pleine nature pendant un mois ou deux. Un mélange joyeux d’anglophones et de francophones partageant allègrement leurs mots et leurs mets.
Voilà Bondrée « territoire où les ombres résistent aux lumières les plus crues, une enclave dont l’abondante végétation conserve le souvenir des forêts intouchées qui couvraient le continent nord-américain il y a de cela trois ou quatre siècles. »
On disait qu’autrefois, dans les années 40, pour fuir la guerre, un trappeur du nom de Pierre Landry s’était installé à Boundary Pond. Il n’avait pas vu d’un bon œil l’arrivée des vacanciers et s’était enfoncé davantage dans la forêt pour être tranquille. De loin, il observait une femme à la peau claire qui aimait se rafraichir dans le lac, il la trouvait belle. On n’avait jamais bien compris pourquoi on l’avait retrouvé pendu dans sa cabane mais depuis on disait qu’il hantait les lieux…
En tout cas, la Zaza, Elisabeth Mulligan et son acolyte Sissy Morgan, dans leur insolence, se moquaient bien de toutes ces histoires, des légendes débiles qui les faisaient hurler de rire : elles étaient jeunes, belles, se maquillaient, fumaient, portaient des shorts courts, sentaient la pêche et le muguet, dansaient le rock’n’roll, embrassaient les garçons.
C’était l’été de Lucy in the sky with Diamonds, le « Summer of love » pour les filles, les inséparables, que l’on voyait se dandiner, se jeter dans le lac en criant, courir comme des dingues en pouffant de rire et en jurant, lolitas ivres de vie et de soleil. Un bel été, prometteur, un été de folie qui s’ouvrait à elles. Go, go, Zaza, run, run, Sissy !
Evidemment, je n’en dirai pas plus, roman policier oblige. Je conseille d’ailleurs, pour conserver le suspense intact, de ne pas lire le résumé sur la quatrième de couverture. C’est toujours trop bavard, ces choses-là.
Croyez-moi sur parole : vous allez vous ré-ga-ler. J’avoue que j’aurais presque envie de me replonger dans les bois de Bondrée pour entendre les piaillements de l’effraie et voir passer la queue rousse du renard. Mais je me retire et vous laisse la place… Mais attention, restez prudent tout de même…

Retrouvez lucia-lilas sur son blog

partagez cette critique
partage par email