Il va se dire et s’écrire beaucoup de belles choses sur ce livre : que les libraires se sont enthousiasmés logiquement pour ce nouvel ovni du Tripode, également éditeur de Sigolène Vinson qui a côtoyé Valérie Manteau à Charlie-Hebdo ; qu’Annie Ernaux a été plus qu’émue par cette prose intimiste ; que ce texte qui se joue des registres (ni tout à fait fiction, récit ou essai) a été réimprimé sitôt paru. Il va peut-être aussi se trouver des esprits chagrins pour s’agacer de la multiplication de témoignages d’après-attentat(s), pointant qui la légitimité d’écriture de l’auteure, qui son implication passée au sein d’une rédaction -et de proches- en souffrance. A tous, il n’est qu’une ligne de conduite qui vaille : lisez ce texte. Il serait surprenant que vous n’en sortiez pas profondément bouleversé, sincèrement ému. Ou juste en empathie avec cette jeune femme qui met ses tripes et son histoire personnelle et familiale à nu.
Le théâtre comme acte de résistance
Le livre démarre à Kinshasa où la narratrice, malade, traverse la ville dans un état second pour assister à une représentation de l’ultime pièce de la dramaturge Sarah Kane. Le théâtre comme acte de résistance ultime, il en sera question plusieurs fois au fil de cette lecture dans les pas et les pensées de Valérie. « Tellement de choses ont été dites…j’ai peur de mon propre récit. Ce que je savais s’estompe, se mélange à ce que j’apprends, et je ne veux pas corriger mes souvenirs, pas réviser mon histoire.»
Au fil des souvenirs
Istanbul, Marseille, Kinshasa, Paris sont quelques-uns des lieux où évolue la jeune femme. Elle a quitté la rédaction de Charlie-Hebdo pour vivre une histoire d’amour compliquée quand l’annonce des attentats la cueille en plein cœur. Valérie égrène ses souvenirs : le suicide de sa grand-mère et l’incompréhension d’un tel acte, une manifestation avec le collectif féministe La Barbe, une virée angoissante en taxi avec Charb, l’ivresse et les larmes avec ses anciens collègues et amis proches. Elle attendrit en confiant ses déboires amoureux avec son amant d’Istanbul, inquiète en livrant ses doutes quand elle n’est plus « à l’abri » sur le canapé de Patrick Pelloux à l’épaule toujours prête à l’accueillir. Elle attriste en partageant les petits chagrins loin des grandes douleurs, comme la maladie (puis la mort) de son chat. Eros et Thanatos. Quelques psy aussi, plus ou moins réceptifs à la douleur de Valérie « mais qu’elle se taise. J’ai trop besoin d’elle pour qu’elle ruine tout avec des mots trop légers à la surface de la réalité brute, violente, la réalité qui n’a demandé l’avis de personne pour être la simple et idiote réalité de la vie, quoi qu’elle en dise », écrit-elle rageusement après une séance de travail avec une thérapeute.
Les phrases roulent, charriant des mots-souffrance, des verbes-larmes, des adjectifs-douleur, la chair et l’esprit sont à vif. Entre accès de lucidité et effondrements, quelques paquets de clopes fumées comme autant d’antidépresseurs, les prémices d’une nouvelle vie se dessinent.