Se plonger dans un livre de Nuala O’Faolain ne relève pas de la simple promenade littéraire. Impossible de garder le cœur froid et les yeux secs par rapport à son texte et ne pas se sentir concerné par sa vie. Son histoire vous implique, vous entame, vous interpelle et vous pousse à reconsidérer votre propre existence.
« J’y suis presque » n’est pas un roman, pas tout à fait un document non plus, pas vraiment un recueil de souvenirs, mais plutôt une magnifique digression sur l’amour, le chagrin, la solitude et la difficulté de vivre en Irlande lorsqu’on est une femme.
Un cri de protestation
Cela ressemble aussi à un « cri de protestation » et à « une tentative de comprendre pourquoi sa vie semble n’avoir abouti à rien malgré de grandes promesses. » L’explication, Nuala O’Faolain l’a trouvée bien sûr, dans son enfance, dans le cœur de cette petite fille perdue au milieu d’une fratrie de neuf gosses livrés à eux-mêmes pendant que le père, chroniqueur mondain, courait les cocktails et les maîtresses et que sa mère noyait ses désillusions dans les bars. De cette première souffrance, elle ne se remettra jamais. Même après avoir connu le succès et l’amour de toute une population prise d’empathie pour son désespoir et de ferveur pour ses livres, elle est restée hantée par sa mère. Comme l’ont été d’ailleurs plusieurs de ses frères et sœurs. Seuls sont s’en sortis ceux qui ont choisi la voie traditionnelle famille-religion.
L’incroyable aventure éditoriale
Nuala, de son côté, a préféré les chemins de traverse. Après avoir noyé son mal-être dans l’alcool, enchaîné les liaisons malheureuses et les dépressions, il lui arrivé quelque chose de miraculeux, alors qu’elle approchait la soixantaine. Journaliste à l’ « Irish Times », elle tenait une chronique très lue dans son pays. Un petit éditeur lui proposa de réunir ces billets d’humeur en recueil. Elle accepta à condition de pouvoir y ajouter une préface… qui devint un récit de trois-cents pages, « On s’est déjà vu quelque part ? » Une interview à la télévision suffit ensuite à la transformer en phénomène. Le lendemain, l’Irlande entière plébiscitait Nuala. C’est tout cela et ce qui lui est arrivé ensuite qu’elle raconte dans ce livre où l’on retrouve tout ce qu’on a toujours aimé chez elle : une sensibilité à fleur de peau, une écriture formidablement vivante, une espèce de franchise désarmante, et puisque nous avons l’impression que c’est à chacun de nous qu’elle s’adresse, une incroyable capacité à susciter notre compassion. « J’ai tenté de refermer mes blessures en les mettant en mots, puis en purgeant les mots de leur pouvoir – en les considérant comme des outils pour un travail, une tâche », écrit-elle. Ces blessures ont fini par avoir raison d’elle. Aujourd’hui, Nuala nous manque beaucoup.