Un conflit qui a fait plus de 100.000 morts, vidé des villes entières, traumatisé des millions d’habitants, déshonoré les responsables politiques et sali la réputation d’un pays pour de longues années. Dans « Cartel », suite de son chef-d’oeuvre « La griffe du chien » (paru en 2005), l’auteur américain Don Winslow livre une vision romancée de la prétendue « guerre de la drogue » menée ces dernières années par le gouvernement du Mexique contre les gangs quadrillant le territoire, de la frontière américaine jusqu’au Guatemala. Son pavé jette de multiples ombres sur les discours officiels émis à Mexico comme à Washington…
Des rivalités sanglantes
Art Keller contre Adan Barrera, l’incorruptible agent anti-drogue contre le parrain de l’Etat du Sinaloa… Le livre replace au centre du jeu les deux protagonistes du tome précédent, plus déterminés que jamais à s’éliminer mutuellement. L’Américain est contraint à la clandestinité par les contrats lancés sur sa tête et les remous qu’il a provoqués dans son camp. Son ennemi purge une condamnation dans une prison quasiment à sa botte. Au dehors, les autres cartels enragent de le voir ainsi gérer ses affaires et prospérer depuis sa confortable cellule. Leurs rivalités sanglantes décident Keller à reprendre du service, contraint de faire équipe avec des superflics mexicains dont il doit se méfier.
Tout le monde est corrompu
Don Winslow met en effet à nu la corruption qui mine la police, l’armée, la justice et jusqu’au gouvernement, inflitrés et arrosés par les trafiquants. Lorsque de hauts responsables mexiains ciblent tel cartel, c’est pour mieux favoriser tel autre qui les a achetés. Pour consolider leurs positions, les narcos entrent dans une vertigineuse valse d’alliances et de désalliances. L’allié du jour est le rival du lendemain, il faut l’éliminer de crainte qu’il ne prenne les devants. Les cartels recrutent des commandos d’élite qui kidnappent, torturent, assassinent, massacrent sans limites. Les innocents sont pris entre tous les feux.
Un catalogue d’horreurs
Le roman recycle un catalogue d’horreurs puisées dans l’actualité mexicaine des dix dernières années. La nausée pourrait gagner, si l’auteur n’avait le bon goût de réinjecter suffisamment d’humain quand il le faut pour laisser respirer son intrigue. Celle-ci trouve un moteur efficace dans les ambiguités et le jusqu’au boutisme d’Art Keller, mais aussi dans ces personnages héroïques restés debout face à la barbarie, certains bien rééls, tels la jeune policière bénécole Erika, d’autres imaginaires ou composites. Ecrivain caméléon, capable de relever tous les défis littéraires, Don Winslow se souvient ici qu’il a été journaliste. « Cartel » est profondément troublant parce que, sans prétendre à la rigueur d’une enquête, il se nourrit de faits avérés, complexes, secrets, et leur donne du sens. Rien de plus puissant qu’une fiction qui aide à comprendre la réalité.