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Inclassable AmériqueDans ce roman réjouissant, ce n’est rien moins que le rêve américain que dézingue l’auteure. La famille, l’université et la justice dégringolent de leur piédestal dans une satire sociale où les illusions de jeunesse font long feu, où le mensonge est érigé en mode de vie et les petites mesquineries considérées comme un polissage des communautés. Lorsque Peggy, jeune lesbienne romantique, entre à l’université féminine de Stillwater (Virginie) en 1965, elle veut devenir dramaturge. Mais elle s’amourache de son professeur d’écriture créative, Lee Fleming, poète raté, héritier d’une riche famille sudiste qui ne veut pas entendre parler de lui à cause de son homosexualité affichée. Ce qui devait être une aventure sans lendemain se transforme en cauchemar à perpétuité : Peggy est enceinte, Lee l’épouse et ils ont un deuxième enfant dans la foulée. La jeune femme, désormais Madame Fleming, arrête ses études et devient mère au foyer, tandis que Lee se retrouve prisonnier d’une situation inextricable. A cause d’une folie, l’une a dû renoncer à ses rêves, l’autre à sa vocation, et tous deux à leur orientation sexuelle respective. Ils en viennent à se détester, par moments à détester leur progéniture, jusqu’à ce que Peggy s’enfuie avec sa fille. Par peur des autorités, elle déniche une cabane abandonnée dans une petite ville perdue, change d’identité et accomplit la prouesse d’inscrire sa fille blanche et blonde dans une école pour Noirs, arguant sans vergogne de la règle de la « goutte de sang » dans son arbre généalogique (une scène irrésistible !). Elles mènent une vie pauvre et cachée, Peggy, éternelle paranoïaque (ou au choix « complètement cinglée ») exerçant pour survivre des activités illégales. Usurpation d’identités, faux-semblants, hasards et comique de situation font souvent penser aux procédés shakespeariens. Tout est improbable, et pourtant tout passe, les mensonges les plus grossiers comme la naïveté de ceux qui veulent bien les croire. Cette histoire familiale atypique permet aussi de suivre une société en mutation entre les années 1960 et 1980, dans laquelle les Noirs, les Amérindiens, les femmes et les homosexuels luttent contre la discrimination et entendent aussi accéder au rêve américain. Voici un roman drôle, féroce, faussement léger, parfois complètement foutraque et politiquement incorrect : un régal !
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nuit blanche
Peggy s’est mariée… les ennuis commencent
Parmi les découvertes de la rentrée 2016, le premier roman traduit en français de Nell Zink occupe une place à part. Une comédie des erreurs (titre original : Mislaid) est le second roman de cette femme qui a grandi en Virginie (elle y situe l’action durant les années soixante) avant de se lancer dans la musique et l’écriture en publiant «Animal Review».Ce fanzine tomba entre les mains d’un musicologue israélien qu’elle épousera et accompagnera à Tel Aviv où elle continuera à écrire ses petites histoires. Activité qu’elle poursuivra en Allemagne où elle vit aujourd’hui. Encouragée par Jonathan Franzen, avec lequel a entretient une correspondance régulière, elle publiera un premier roman, The Wallcreeper, qui se déroule dans la mouvance écologiste allemande et qui sera salué par la critique qui l’a d’emblée placée au rang d’un John Irving. Un roman intelligent !
Quel étrange roman ! Je ne sais pas, en le terminant, si je l’ai aimé ou pas, mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a une autrice, là . L’histoire que nous raconte Neil Zink est à la fois totalement absurde et parfaitement maitrisée, sa narration est ultra particulière, tenter de l’expliquer est d’une grande difficulté. C’est l’histoire d’une famille, en Virginie, des années 60 aux années 80. La voix qui raconte se tient à distance, s’attarde sur des moments précis curieusement choisis, avance à grand pas ou fait du surplace, et est toujours d’un sérieux inébranlable. Dans le même temps, ce qui se passe est improbable, extrêmement empli d’érudition, et d’un humour percutant. C’est loin d’être facile à lire – parfois j’ai dû relire même, bien que les mots soient simples ils sont agencés de telle façon que le sens se dérobe (enfin, pour moi en tout cas !). Mais de ce fait c’est intrigant, intéressant, et on a toujours envie d’en savoir plus. Les Fleming m’ont rivée à leurs démêlés et j’ai terminé en riant toute seule devant ce monument de scène qu’est le repas des retrouvailles. Un roman intelligent ! « Peggy n’allait jamais voir ses parents de son propre chef, mais c’était un cas exceptionnel. En général, Lee et elle alternaient pour ne délaisser aucune famille : Pâques ici, le 4-Juillet là , ainsi de suite. Ils dînaient invariablement chez les Vaillaincourt pour Thanksgiving car la mère de Lee ne cuisinait pas. Ensuite tout le monde se rendait chez les Fleming pour Noël. Ils avaient des bonnes qui veillaient à ce qu’on ne manque jamais de lait de poule, et un sapin haut de deux étages dans le vestibule avec un train miniature autour du pied, et les petits les adoraient. Les parents de Peggy, à l’inverse, trouvaient que sa façon de les gâter dépassait l’entendement. Sa mère s’était agenouillée sur le tapis à côté de Byrdie , avait caché son nouveau ballon Nerf derrière son dos et dit : « Je sais que tu n’as pas l’habitude qu’on te dise non, mais je ne veux pas jouer à ça maintenant. Je veux qu’on joue aux cartes avec ta soeur. Est-ce que tu veux bien faire une petite chose pour quelqu’un d’autre ? » Avec les Vaillaincourt, les réunions de famille étaient des affrontements tendus et bornés autour de l’éducation des enfants, un bouillonnement derrière une façade de distinction ritualisée, et tout le monde les évitait soigneusement. » |
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