«Il redémarra lentement. La pluie tombait, à présent. A un carrefour très éclairé où trônaient deux stations-service, ainsi qu’un QuickTrip et un KFC, une demi-douzaine de jeunes gens en imperméable jaune brandissaient des pancartes avec cette inscription : KLAXONNEZ POUR LA PAIX. Ira appuya aussitôt sur son klaxon, d’abord par intermittence, avant de carrément poser le bras dessus. D’autres voitures l’imitèrent, et bientôt, plus aucun véhicule n’avançait. On aurait dit une congrégation de tourterelles tristes qui cacardaient comme des oies en un choeur sauvage et futile, tandis que les pare-brises en éventail étaient balayés par les essuie-glaces. A deux reprises, personne ne démarra au feu vert. Ce moment avait beau être stupide et spleenétique, ce fut un pur instant de formidable chagrin civique. »
Cet extrait est totalement représentatif du ton des huit nouvelles proposées dans ce recueil, difficilement évocable. Tout se passe de nos jours, les personnages semblent parfaitement insérés dans le(ur) monde et subissent divers aléas, toujours dans le domaine de la quotidienneté et sans que jamais ne se déroule de grand bouleversement. Pourtant, on les sent vaciller et c’est dans la distance même de leurs interrogations intimes qu’ils nous touchent au plus profond. Il y a quelque chose qui évoque une funambule dans la prose de Lorrie Moore, ça peut basculer d’un instant à l’autre et on la lit dans une sorte d’urgence, le souffle comme coupé d’avance, un peu comme si on cherchait à se protéger. Il y a une étrangeté et un humour parfois saugrenu, et il y a surtout une force dans tout ce qu’on sent entre les lignes qui fait bien sûr penser à Carver.