2017, nous élirons notre futur(e) Président(e) de la République et le scénario du livre pourrait devenir réalité.
Un homme découpe sa carte d’électeur en petits morceaux avec de gros ciseaux, un couple pleure, d’autres crient leur colère ou manifestent. Oui, c’est arrivé, le pays a basculé du côté de l’extrémisme. « Chacun a les dirigeants qu’elle mérite, crie un homme caché par l’ombre d’un mur. »
David erre à travers les rues de la ville seul, se fait apostropher par des clochards, pardon SDF, ou par des personnes qui, comme lui, ont perdu tous leurs repères. David cet homme qui ne sait jamais dire non à son patron, qui part travailler la boule au ventre, revient lessivé avec toujours la même boule au ventre qui a encore grossi. Cet homme est gris, insipide à force de renoncement. Même Mina, il a réussi à la perdre à force de se taire, de ne pas s’expliquer, de renoncer. C’était pourtant une belle histoire d’amour entre eux. Mina aurait bien voulu tout partager avec David, mais voilà , le mur est devenu opaque à force de ne pas se parler, ne pas se confier. « Peut-être qu’avec David ils ont manqué d’endurance, qu’ils se sont essoufflés trop vite, qu’ils n’ont pas su faire front ensemble. A force d’humiliations minuscules, chacun n’avait plus assez d’estime de soi pour supporter d’être aimé. » Elle est partie, retournée chez ses parents, les écouter, les regarder s’engueuler, plutôt son père gueuler, exiger…
Le jour des élections, elle est partie sur un cargo direction les Antilles pour ne pas savoir, ne pas voir, ne pas connaître le résultat. Quitte à être seule, au moins l’être au milieu de nulle part sans apercevoir la terre ; la mer, encore la mer, toujours la mer.
Pourtant, ils sont encore connectés, encore liés. Ils ne peuvent s’empêcher de penser l’un à l’autre, de sentir, voir les mêmes choses à peu près au même moment. Lui « Faiblement éclairé, son reflet n’a que des trous la place des yeux », elle « Mina chercher son regard dans le reflet d’un hublot, ne voit qu’une vague figure percée de trous béants. ».
A terre, les français se réveillent avec la gueule de bois. Ils se ruent dans la rue, les pour, les contrer, les autres. Le pays se retrouve coupé en deux. Ceux qui ont voté pour et les autres.
Eric Pessan l’écrit dans le dernier chapitre, cite une phrase de Tristan Bernard « Agé de presque quatre-vingts ans, arrêté durant l’Occupation pour être déporté à Drancy, l’écrivain aurait déclaré à son épouse : Jusqu’à présent nous vivions dans l’angoisse, désormais, nous vivrons dans l’espoir »
Certains chapitres, commençant par « Il y a le feu sur terre sont écrits avec des paragraphes qui ne se terminent pas par des points, pour mieux faire ressortir l’urgence, l’essoufflement, le trouble suite aux résultats du second tour des élections présidentielles.
‘Qui a envie de voter pour quelqu’un qui annonce d’emblée de ne pas pouvoir contrer la financiarisation du monde ? Qui a envie de s’engager pour quelqu’un qui est à demi dans le renoncement ? Qui veut soutenir quelqu’un qui ne parle que de rigueur, de crise, d’austérité, dans un monde que l’on sait prospère et florissant comme jamais le monde ne l’a été ?
A force d’oublier qu’ils doivent faire rêver, les partis traditionnels ont enfanté un cauchemar. »
J’ai découvert Eric Pessan avec Muette, un superbe livre aux petites phrases quotidiennes et assassines. La nuit du second tour est un roman intense et engagé, peut-être pour nous dire réveillons-nous avant qu’il ne soit trop tard..
Et vous, que feriez-vous si cela arrivait ?
Les éditions Albin Michel ont publié un livre engagé. La littérature sert à ça aussi.
« Ceux qui gouvernent comme ceux qui voulaient gouverner ont infantilisé le mécontentement, se sont amusés des grands élans don quichottesques de ceux qui voulaient changer le monde. Ils ont dit de ne pas bouger, de ne rien faire, de se contenter de voter et de ne surtout pas venir exprimer de déception. Ils ont dit qu’il fallait participer, aider, collaborer, accompagner, promouvoir. Ils ont rabâché que les temps n’étaient plus au faste et au luxe sans jamais apporter la moindre preuve. Les partis politiques traditionnels n’ont pas su offrir un sourire, une joie, ou –à défaut- l’espoir d’une joie possible à ceux qui en avaient besoin, se dit David. »
« A force de trahisons, à force de renoncements, à force d’immobilisme, à force de réalisme, à force de donner l’impression qu’ »ils n’y sont pour rien, à force de laisser croire qu’ils ne peuvent absolument pas influer sur l’ordre des choses, à force d’orgueil, à force de dédain, à force de répéter qu’ils ne sont pas responsables, à force de morgue et d’ignorance, les partis politiques traditionnels ont fini par provoquer la catastrophe, se dit Mina. »