Dans l'ombre
Arnaldur Indridason

traduit de l'islandais par Eric Boury
Points
bib. nordique
février 2017
408 p.  8 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
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Nouveau départ pour Indridason

Dans sa chronologie, l’œuvre d’Arnaldur Indridason a un petit côté saga Star Wars : les derniers romans parus étaient en fait des « préquels », situés plus loin dans le temps que les premiers sortis. Les débuts d’enquêteur du jeune Erlendur sont venus, a posteriori, nous éclairer sur ses errements de fin de carrière. La boucle ainsi bouclée, le romancier de Reykjavik reprend maintenant à zéro, dans une nouvelle série, son exploration de l’âme islandaise.

Nouvelle série

« Dans l’ombre » inaugure une trilogie mêlant deux de ses grandes passions : le mystère et l’Histoire. Il y introduit non pas un héros récurrent, mais deux. On y devine une forme de liberté retrouvée, après douze livres en autant d’années à gérer la personnalité complexe du policier qu’il avait inventé, solitaire et quasi neurasthénique. On y sent aussi une envie de se faire plaisir, de ne pas ajouter trop de noirceur ambiante à celle, inévitable, d’une enquête criminelle.

L’époque, il est vrai, suffit à dire la tension, l’angoisse, la peur. On est en 1941 et le régime nazi étend sa toile sur l’Europe. Les sous-marins du Reich rôdent dans l’Atlantique Nord et, pour le gouvernement islandais, une présence alliée en chasse une autre. L’Amérique s’engage, l’armée britannique se redéploie ailleurs. On parle toujours anglais dans les bars du port mais la population locale reste divisée : protection ou occupation ? Les nouveaux hôtes des bases aériennes génèrent toutes sortes de commerces mais aussi de la méfiance, voire de l’aigreur.

Voyage dans le temps

L’auteur se régale à voyager dans ce temps où son peuple a appris à cultiver sa fierté dans la dépendance. Dans le genre de chaos que génère une guerre, le décor fourmille de personnages secondaires incarnant toutes les attitudes humainement possibles. De la lâcheté à la détermination, du cynisme à la solidarité, de l’avidité à l’entraide. Alors qu’un petit représentant de commerce sans histoire a été éxécuté avec un pistolet de l’armée US, ces ondes contraires compliquent la tâche du flic Flovent, chargé de découvrir qui l’a tué et pourquoi.

Vivement la suite!

Intrigué par l’arme du crime, l’état-major américain lui adjoint un coéquipier, le jeune soldat Thorsen. Le premier est l’unique enquêteur criminel du pays, le second un fils d’Islandais émigrés au Canada : leur marginalité les rapproche. Jeunes, positifs, débutants, bien qu’opposés en caractère, ils se jettent à l’eau, pataugent un peu, coopèrent en confiance. On devine des failles, mais l’auteur en garde pour les deux tomes à venir. Les deux pistes qu’ils suivent en parallèle – drame de la jalousie ou complot d’espions – se brouillent un peu à force de s’imbriquer, mais le duo séduit. Dans la veine d’ « Opération Napoléon », plus que d’ « Hypothermie » ou de « La muraille de lave », cet Indridason moins torturé a déjà bien ferré son lecteur. La suite, « La femme de l’ombre » est annoncée pour le 1er octobre…

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nuit blanche

Meurtre en Islande au moment de « la situation »

Pas d’Erlendur dans ce roman d’Arnaldur Indridason. Les faits se déroulent pendant la seconde guerre mondiale. Les anglais, puis les américains font de cette île une base arrière. Jeunes filles et jeunes femmes se retrouvent avec insouciance, calcul, amour, dans « la situation » (joli mot pour parler des relations amoureuses avec les occupants).
C’est d’ailleurs ce qui arrive à Véra, l’amie d’Eyvindur, représentant de commerce, qui a déserté le domicile pour un soldat anglais. Ce même Eyvindur est retrouvé mort, tué d’une balle dans la tête, dans l’appartement d’un certain Félix Lunder. Pourquoi cet homme, piètre représentant, fade, effacé, sans consistance a-t-il été tué ? Crime de la jalousie ? Rien n’a été volé. Pourquoi le signe « SS » sur le front ? Fait-il partie des sympathisants du régime nazi ? Erreur sur la personne ?
Flovent, le seul enquêteur de la police criminelle s’Islande, ex-stagiaire à Scotland Yard, et Thorson, l’Islandais né au Canada, désigné comme enquêteur par les militaires parce qu’il est bilingue.
Les deux hommes sont chargés de l’enquête. Quasi sans expériences ils vont devoir louvoyer entre militaires, civils, américains, anglais, islandais. Heureusement, l’entente entre eux est très bonne, pas de coups bas. Leur méconnaissance du métier leur donne la liberté de fouiner sans arrière-pensées, chercher dans les expériences du docteur Rudolf Lunder, sympathisant nazi, remettre l’ouvrage sur le métier autant de fois qu’il le faut.
http://zazymut.over-blog.com/
Avec son art consommé de l’intrigue, Arnaldur Indridason nous conduit, de fausse piste en suspects-non-suspects, vers la preuve, le suspect, le mort manqué. Une enquête policière lente, méticuleuse, sans téléphone portable ni courrier électronique (ça fait du bien !).
Ce que j’ai aimé, en plus de l’intrigue policière, c’est la description de l’Islande pauvre, rurale occupée par des soldats fier-à-bras, en pays conquis qui n’ont que mépris pour les islandais, sauf pour leurs femmes et leurs filles. Les islandaises rêvent de se faire épouser par ces soldats, quitter leur île et aller vivre en Angleterre ou aux USA.
« Elle a dit que c’est nettement mieux d’en dégoter un comme ça plutôt qu’un Islandais. Elle était sacrément contente quand elle les a vus arriver… je veux sire, les soldats… et elle passait son temps à sortir avec ses copines. Elles s’amusaient tout le temps »
« Des bouteilles d’alcool et des cigarettes encombraient les tables. L’une des gamines (quinze ans environ), toute débraillée, était assise sur les genoux d’un matelot. L’autre était allongée sur une couchette, les jambes nues sous sa robe légère, et fumaient une cigarette. Deux des hommes étaient torse nu, le troisième portait un maillot de corps. Le plus âgé devait avoir environ cinquante ans. »
En lisant ce polar, j’ai repensé au livre de Svava Jakobsdottir « un locataire » qui se situe juste après la guerre, l’Islande est encore occupée par les américains.
J’attends avec impatience la parution, en octobre prochain, du second tome de cette trilogie et ainsi, passer une nouvelle nuit blanche. Pour patienter, je pense que j’irai retrouver ce cher Erlendur, histoire de respirer l’air frais d’Islande.

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