Little America

traduit de l'anglais par Janique Jouin de Laurens
Editions Gallmeister
americana
février 2017
457 p.  11,40 €
 
 
 
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Un charme unique

Ce roman semble issu d’un croisement entre la série télé « Homeland », l’oeuvre de Lawrence d’Arabie  et celle de Graham Greene. Fils d’un agent de la CIA, l’auteur Henry Bromell, mort en 2013 à l’âge de 66 ans, était fasciné par le monde du renseignement. A Hollywood, il a contribué aux fameuses aventures de Carrie Mathison comme scénariste (cinq épisodes) et producteur exécutif (trente cinq épisodes). Mais une dizaine d’années auparavant – le livre est sorti aux Etats-Unis en 2001 – il avait aussi eu l’idée d’un récit inspiré par sa propre histoire : la quête d’un quinquagénaire tentant de reconstituer les faits d’armes passés de son père désormais vieillissant. Le côté Lawrence de l’histoire, c’est le cadre, l’atmosphère, le paysage. Un royaume fictif et prétendument disparu du Proche-Orient, le Korach, où opérait à la fin des années 1950 le père espion et où le narrateur et sa mère l’avaient suivi. Une terre de Bédouins, supposée coincée entre la Jordanie et l’Irak, dont la capitale était la seule ville. L’enfant avait gardé en tête les sorties nocturnes de son père, ses conversations chuchotées, ses attitudes mystérieuses.

Une approche psychologique de l’espionnage

Autant d’indices emmagasinés d’une double vie auxquels il n’avait pu donner de sens. Le versant Greene de l’histoire, c’est l’approche essentiellement psychologique de l’espionnage tel qu’on le pratiquait à l’époque. Faute d’écoutes ou d’images satellite – on en était à peine à l’avion-espion U2 – le métier consistait alors à cibler des sources humaines et gagner leur confiance pour leur soutirer des secrets ou les manipuler.
De ce mélange de souvenirs personnels, d’imaginaire et d’influences, l’écrivain-producteur a tiré un un récit à la structure fouillée mais au charme unique, qui enchaîne les sauts dans le temps sans toujours prévenir, par de brusques fondus enchaînés. Le narrateur retrouve les protagonistes – amis d’enfance, anciens collègues de son père – en prétextant l’écriture d’un livre. Dans le temps présent de cette enquête s’imbriquent le passé que lui restituent les témoins et les flashes de sa propre mémoire. D’un échange intimiste à un coup d’Etat, d’une scène d’intérieur à une échappée dans le désert, le rythme du récit balance sans cesse.

Salaud ou héros?

On croit voir se préciser le portrait du père, une nouvelle révélation vient aussitôt le brouiller. Salaud ou héros ? A-t-il pesé sur le cours de l’Histoire ? Tué ce petit roi hachémite qu’on l’avait chargé de protéger ? Profité d’une mission à Rome pour s’offrir une aventure avec une inconnue ? Trompé ses proches sur sa véritable nature ? Le narrateur, qui a hérité de ses talents, sait trouver les réponses à ses interrogations. Elles convergent et se recoupent en un beau final que l’on n’a pas forcément vu venir. On devine juste que, dans l’esprit de Henry Bromell, le propos du livre était de montrer la politique étrangère des Etats-Unis sous un jour malveillant et cynique. Mais cela, c’était avant…

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MON PERE, CET ESPION

Ni polar, ni roman d’espionnage, un peu quand même mais pas tant qu’un immense livre, grande quête du père. Un fils entreprend de recouper les informations, chercher les renseignements, assembler les indices pouvant le mener à son père, cet espion.
Un espion ne fréquente pas la réalité, il la détourne, l’invente, la crée, la tord. Son objectif est de la dissimuler, bien évidemment, la travestir pour son salut et le salut des siens.

Henry Bromell cherche donc son « vrai » père, dans ce roman dense et prodigieusement orchestré, il cherche à savoir si ce paternel volage mérite une statue ou une condamnation. Ou ni l’une, ni l’autre.
Une figure paternel qui consent à parler, mais pas trop. Qui brouille les pistes, mais qui, au final, ne résistera pas à l’obstination de son fils.
Mais la force de ce roman est aussi de nous montrer cette face plus ou moins cachée d’une Amérique influente et manipulatrice, calculatrice et apprentie sorcière, qui, comme nombre de puissances occidentales, a tenté, et tente encore d’imposer son influence un peu partout où ses intérêts peuvent prospérer.
C’est aussi de nous montrer ce monde arabe toujours balloté, bousculé par les manoeuvres des grandes puissance, et en interne souvent déjà vérolé, déjà suffisamment pourri pour laisser éclore et s’imposer les extrémismes.
il y a tout cela, dans Little America, mais sans pensum, sans lourdeur, sans excès d’analyses ni d’emphases. Le narrateur poursuit son inaccessible étoile, ce paternel « non officiel » et peut-être meurtrier. Cette maîtresse supposée autrefois Reine. Cette Histoire « officielle » et peut-être maquillée, petite, grande, aussi éloignée de la vérité que le mensonge.

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