Romancière à succès, Anne Tyler a obtenu le prix Pulitzer en 1989 pour « Leçons de conduite ». Ses livres sont d’une acuité psychologique redoutable. L’air de ne pas y toucher, avec un talent fou, elle sonde ici les fondements d’une famille américaine ordinaire.
Home sweet home
A Baltimore, la maison des Whitshank est une de ces demeures typiquement américaines, avec un tulipier de Virginie dans le jardin, un chemin dallé qui mène à l’entrée et une grande véranda où trône une balancelle en bois couleur miel. Elle a été construite par Junior Whitshank au milieu des années 1930 : c’était son rêve, l’œuvre de sa vie. Ici, la maison est un personnage, en même temps que le théâtre de la vie de famille, composée des parents, de leurs quatre enfants (deux fils et deux filles) et des petits-enfants (sept au total), sans compter les chiens. Aujourd’hui septuagénaires, Red et Abby causent de l’inquiétude à leur entourage : l’une est victime d’absences de plus en plus fréquentes et l’autre devient sourd. Les rôles s’inversent quand les enfants, qui ont chacun leur vie, reviennent veiller sur les parents.
Des squelettes dans les placards
Malgré la sollicitude et l’union affichées, les jalousies et les vieilles rancœurs se réveillent, et les murs de la maison laissent suinter mensonges et secrets, autant de failles qui sapent le socle de cette scène où se perpétuent à huis-clos les légendes familiales.
Habitons-nous un lieu ou est-ce le contraire ? On arpente chaque pièce avec ce fil d’Ariane en main, suivant une Anne Tyler qui, non contente de scruter à la loupe l’image de la famille unie devant la jolie maison entourée d’une pelouse, découvre l’envers du décor et les microfissures qui résistent mal au temps. L’art consommé du dialogue et la narration en patchwork en font un beau roman mélancolique où l’on se retrouve tous un peu. Du grand art.