Le problème de tous les auteurs à succès (à fortiori des auteurs de thrillers de qui l’on exige problablement une production plus soutenue que celle des romanciers classiques), c’est de confirmer vite le ou les premiers succès. Et de s’installer dans le cercle assez fermé des auteurs de qui chaque opus est attendu et ne déçoit pas (ou… presque jamais). Et donc, pour les auteurs de polars, de rentrer sinon tout de suite dans la catégorie des MS (monstres sacrés) : A Christie, Chase ou Simenon, du moins dans celle des VS (valeurs sûres) contemporaines : Cobain, Idridason (et l’école scandinave), Grangé ou Thiriez.
Bernard MINIER publie son premier roman (Glacé / XO) en 2011. Il a 51 ans; il y met « tout ce qu’il a »: son réel talent de « raconteur d’histoire », son impatience, son expérience, sa connaissance du Sud-Ouest, son goût prononcé pour la médecine en général et pour la psychiatrie en particulier, sa passion pour la grande musique… bref, il se lâche, produit une première oeuvre plus que prometteuse et rencontre l’adhésion d’un large public. Le succès catalysé par un éditeur au savoir-faire manifeste est immédiat, il est lancé, collectionne les récompenses, est adapté à la télévision.
Minier a un style : nerveux, soutenu, fouillé, qui ne lâche pas son lecteur…, il a dressé une toile de fond : les Pyrénnées, la neige, la nature hostile… il a créé des personnages que l’on imagine récurrents : martin Servaz, le policier cabossé un tantinet vintage, vincent Espérendieu, son adjoint geek bisexuel, Julian Hirtmann, le psychopathe suisse, et une foule de second rôle : margot, la fille tourmentée de martin, charlotte, la séduisante épouse de vincent, Xavier le psychiatre québécois…
Trés vite, Minier publie « le Cercle » (Servaz 2 le retour…); le succès est au rendez-vous même si les premières critiques apparaissent feutrées : invraisemblance, tropisme…
BM s’éloigne de ses héros le temps des 2 romans suivants, histoire de respirer un peu malgré l’air pur de la montagne : « N’éteins pas la lumière » (Servaz est présent mais depuis sa maison de repos, les 2 premiers opus l’ont éprouvé…) et « une putain d’histoire » (fucking story) qui se passe dans l’état de Washington (USA) sans le policier toulousain. Deux bons polars forts et bien construits qui rencontrent un certain succès (en deça de leur réelle valeur à mon sens; on les redécouvrira…), mais chacun a compris (et d’abord XO…) que le comeback de la paire Servaz/Hirtmann s’impose. Et vite. Le goût des cercles glacés laisse quelque peu atone la lecture des autres romans.
C’est le moment de vérité. Si Servaz 3 (l’oeil du tigre?) est terne, le risque est que la mécanique du succès ne se grippe; si le retour est gagnant (façon Djoko) alors Minier s’installera un peu plus dans le cercle des auteurs confirmés. Moment crucial de la vie d’un auteur. Grangé a bataillé (lontano?) pour confirmer ses 5 premiers titres…
Autant le dire clairement, je trouve le pari réussi. Nuits est un livre haletant. L’auteur nous mène à un train d’enfer depuis une plateforme pétrolière de la mer du nord jusqu’à Halstatt, la station alpine autrichienne en passant par Vienne, Toulouse et le désormais célèbre Saint-Martin de Comminge, Luchon revisité par Minier. Comme d’habitude, les éléments sont déchainés à l’image des protagonistes… comme d’habitude Servaz est au bord du gouffre physiquement et psychologiquement… comme d’habitude il est secondé, en l’occurence par une norvégienne plus chaude que son pays natal… comme toujours l’ombre de Hirtmann, sa folie, son habileté à échapper aux autorités médicales et policières planent sur l’histoire… comme d’habitude enfin, la bande-son est signée Gustav Malher…dont le prénom a été donné à un jeune garçon qui entre dans la saga…
Minier, comme tous les bons auteurs de thriller (je pense à Camilla Lackberg) possède le génie du mécano : il imbrique des histoires dans l’histoire, qui convergent lentement vers le bouquet final. Et dépeint par la même occasion autant de personnages secondaires dont « les tripes » lui permettent d’enfoncer quelques bons clous de tapissier : Zehetmayer le chef d’orchestre réac qui vomit son époque, Rimbaud le boeuf-carotte revanchard, Aurore Labarthe la perverse narcissique…
Le final est paroxystique à souhait : l’intrigue se dénoue au coeur de la montagne autrichienne, les protagonistes se dévoilent, les armes grondent, les masques tombent…on est bluffé. Et Minier a le génie de nous faire adhérer même aux invraisemblances les plus folles. On pense à Hercule Poirot qui ne peut pas prendre un train, embarquer sur un bâteau ou se rendre à une fête sans qu’un meutre y soit commis, et… que cela nous paraisse naturel…!
Enfin BM sait achever ses histoires en suscitant l’intérêt pour un prochain épisode…
On attend la suite de la saga. Servaz est un die hard, une sorte de Bruce Willis made in Toulouse… Il a sans doute bien des « journées en enfer » à vivre encore….