Sur le site des éditions Monsieur Toussaint Louverture, on peut lire au sujet du livre de Jan Kjaerstad Le Séducteur « Mille et une Nuits de notre temps, roman tout en spirales, en échos et myriades d’histoires, comme autant de pièces d’un puzzle obsédant. Le Séducteur nous plonge dans la vie excessive d’un héros improbable. »
Ce n’est pas faux et c’est précisément la raison pour laquelle il vous faudra plonger dans ce livre, rester plus ou moins longtemps, sous l’eau, en apnée, remonter régulièrement à la surface pour reprendre de l’air et replonger, nager, nager encore, découvrir soudain des pages absolument superbes, pleines d’humour, de poésie, de grâce puis nager, toujours plus loin, en veillant à ne pas se noyer car hélas, tel est le risque, il faut bien l’avouer …
En effet, cette « grande ronde des récits » comme le dit le narrateur, cette impression constante d’éparpillement, d’explosion, ces mille et une histoires, ces mille et un détails, détours et digressions, finissent, disons-le, par perdre le lecteur.
Vraiment, ce livre qui a de grandes qualités littéraires aurait besoin « d’une bonne coupe », comme on dit quand on va chez le coiffeur, quelque chose de bien net au-dessus des oreilles, et ce, afin que l’essentiel émerge.
Parce que, tout est là mais il faut traverser parfois de très longues pages très bavardes, excessives dans leurs détails et me semble-t-il pas forcément essentielles, pour atteindre un beau moment. Et ils sont nombreux, ces beaux moments, mais comme perdus dans la masse.
Il faut savoir être patient, me direz-vous. Peut-être. Mais cette surcharge, cette impression de trop plein m’a un peu gâché la lecture…
Paraît-il qu’en tout, Jan Kjaerstad a écrit 1500 pages – Le Séducteur est le volume 1 – et raconté plus de deux cents histoires… (Le tome 2 a pour titre Le Conquérant et le tome 3 L’Explorateur et d’après Wikipédia, chacun des livres propose une version différente du personnage central suggérant par là même qu’il n’y a pas une vérité unique et qu’un même individu est constitué de nombreuses facettes parfois très contradictoires. C’est la métaphore de l’oignon dont il est question dans l’œuvre…)
Le sujet ? La vie de Jonas Wergeland. Qui est-il ? Alors là, la réponse est déjà plus compliquée et c’est bien ça le problème. Qui est au fond Jonas Wergeland ? Un être multiple, complexe, insaisissable. Quel moment précis de sa vie a eu un impact sur ce qu’il est devenu ? A – t- il vécu un ou des épisodes fondateur(s) ? Existe-t-il un moment de la vie de cet homme qui résumerait son existence tout entière ? « Tous les hommes ont une histoire fondatrice, une histoire qui illustre mieux que tout qui ils sont. » Peut-être sommes nous ici à la recherche de cette histoire.
L’autre question que pose le roman est celle du hasard : et s’il n’avait pas fait ceci ou s’il n’était pas allé là, que se serait-il passé ? « L’Histoire aurait peut-être pris un tour bien différent. »
En fait, chacun de ces petits chapitres non chronologiques tente de cerner le personnage, de mieux saisir comment il s’est construit et auprès de qui. Le lecteur découvre la famille de Jonas, sa femme Margrete, ses parents, son frère, sa sœur, son incroyable grand-mère qui se prenait parfois pour Winston Churchill, ses cousins, ses amis, ses relations, ses rencontres (et elles sont nombreuses).
Jonas est un globe-trotteur très actif, charismatique, il traverse le monde entier pour réaliser des documentaires destinés à une émission de télévision appelée Thinking Big sur les Norvégiens célèbres. Ses aventures sont pleines d’émotions, de dangers, de sensations, il est une espèce d’aventurier des temps modernes qui séduit les femmes talentueuses…
Il est question aussi de la Norvège qui n’est pas présentée sous son plus beau jour : en effet, les gens manqueraient singulièrement d’imagination, seraient plutôt pingres et « incapables de penser en grand ». Ce serait un pays à l’image de l’oncle : « attifé de blazers coûteux et de foulards tape-à-l’œil », un pays qui a plus de chance que de mérite, une terre de virtuoses certes, mais pas de créateurs…
Et à cela, s’ajoute un mystérieux narrateur qui dit ne pas être norvégien et vouloir absolument rétablir la vérité sur Jonas Wergeland. Mais quelle vérité ? Les prochains tomes livreront peut-être la solution de l’énigme…
Je ressors de ce roman kaléidoscopique et labyrinthique un peu sonnée. Ses qualités littéraires sont indéniables, la traduction excellente mais le propos, loin d’être inintéressant, tend à se noyer dans un flot de paroles un peu éprouvant.
Du moins, l’ai-je ressenti ainsi…
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