La Serbie. Une vingtaine d’années d’existence, dix dans ses frontières actuelles, et trop de plaies mal refermées pour un si jeune pays. La sale guerre civile, les populations déplacées, l’épuration ethnique… Des drames individuels, des tragédies familiales, un traumatisme collectif… une mine d’histoires à raconter, notamment criminelles. L’Internationale du roman policier n’y avait encore jamais fait flotter ses couleurs. Pour débuter, il fallait bien un duo : Jelena Volić et Christian Schünemann. Elle est serbe et professeur de littérature, lui allemand et journaliste. Leur première fiction à quatre mains, « Couleur Bleuet », écrite entre Belgrade et Berlin, s’enracine dans une affaire bien réelle : la mort de deux jeunes soldats, hâtivement classée en suicide, dans leur caserne de Belgrade, en octobre 2004. En déplaçant juste la date au 11 juillet, jour anniversaire du massacre de Srebreniça, ils ont fait de ce meurtre anonyme, et mal étouffé, un crime symbolique. Les victimes se trouvaient là où il ne fallait pas au mauvais moment… C’est la conviction qu’acquiert l’héroïne du livre, la criminologue Milena Lukin, dès que son ami Siniša Stojković, avocat des familles des victimes, lui ouvre ses dossiers. Ce duo-là aussi fonctionne à merveille, comme celui de ses créateurs, dans la complémentarité. A enquêter dans les marges, là où la police serbe n’a pas envie d’aller, ou pas le droit. A fouiner au plus près des gens, avec empathie, compréhension, patience. La double nationalité de Milena, germano-serbe, donne à son regard une distance salutaire. L’Allemagne est cet eldorado d’où elle rapporte une casquette de base-ball pour son fils et des pansements pour sa tante. La Serbie cette patrie aimée où l’Histoire récente réapparaît sans cesse, « comme d’affreuses tâches noires sur un mur immaculé ». Cette battante est sans cesse ramenée aux fondamentaux de la survie quotidienne par un jeune fils remuant et une vieille mère gentiment protectrice. Cette femme moderne, plus grande que la vie, porte à elle seule une intrigue où le « pourquoi ? » importe davantage que le « qui ? » Elle remue des montagnes de culpabilité au nom de la vérité et de la justice. On a envie de la revoir, de continuer à découvrir la Serbie d’aujourd’hui dans son sillage. Schünemann & Volić savent ce qu’il leur reste à faire…