La fille sur la photo
Karine Reysset

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litterature française
janvier 2017
284 p.  6,90 €
 
 
 
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Mère à son insu

Elle s’appelle Anna, elle est écrivain et s’est récemment séparée de Serge, un réalisateur connu, de vingt ans son aîné, dans l’ombre duquel elle a vécu en Bretagne, durant  une décennie. Elle l’a quitté comme ça, du jour au lendemain. Sur un coup de blues, plus que sur un coup de tête. Pour suivre un dénommé Gaspard, jeune et beau, mais cela aurait pu être pour n’importe qui d’autre. Parce qu’elle traversait un passage à vide, et se sentait elle-même vidée.
Serge n’a pas cherché à la retenir. Alors Anna est partie sans se retourner, sans donner d’explication. Et plus tard, au moment de l’introspection et du bilan, elle réalise qu’elle a finalement fait comme sa mère, Marlène, qui les a abandonnées, elle et sa sœur aînée, Betty, alors qu’elles n’avaient que sept et dix ans. Mais tout cela, on ne le sait pas encore lorsque débute l’histoire.

Un appel au secours

Le roman s’ouvre sur l’appel de Serge. Un appel au secours. « Viens, je t’en prie, ma gosse est au fond du trou, j’ai besoin de toi », l’implore-t-il. Anna entend la détresse de Serge, et accourt pour essayer de sauver Garance. Elle l’a élevée avec sa sœur, Chloé, durant dix ans. Pour les deux filles de Serge, elle a tout fait: les courses, les repas et les devoirs, le taxi, les rendez-vous chez le pédiatre puis le gynécologue. Elle a joué les rôles d’amie et de confidente. Chloé ne lui dira que plus tard (trop tard?): elle fut leur deuxième maman.

Remonter la pente, remonter le temps

En retrouvant Serge, la Bretagne, la maison où elle a vécu avec ses trois enfants qu’elle a choyés comme si c’était les siens, sans se rendre compte qu’elle les aimait tant, et toutes les photos qu’elle a prises d’eux, Anna revit son histoire et nous la raconte. Elle veut tenter de comprendre comment elle est en arrivée là, ou plutôt savoir si les choses auraient pu être différentes. Anna ne se demande pas si elle a bien fait, car elle est consciente de ne pas avoir eu le choix. Mais elle veut y voir clair. Alors pour remonter la pente sur laquelle elle s’est laissée glisser jusqu’à tomber dans une forme de dépression qui ne dit pas son nom, elle remonte le temps.

Recoller les morceaux du puzzle

Elle tente de rassembler les morceaux épars de sa vie. Sans que l’on sache vraiment si elle a envie de les recoller. Le sait-elle, d’ailleurs, elle-même? Et cette dislocation ne s’avère-t-elle pas irrémédiable? On l’ignore aussi. La seule certitude d’Anna, et la seule conviction du lecteur, c’est qu’elle a le fol espoir de sauver Garance.
Ce roman s’apparente à un puzzle, dont Karine Reysset assemble les pièces une à une. Elle raconte avec beaucoup de pudeur et d’humilité une histoire à trous, qu’on lit d’une traite. Celle d’une femme qui revient sur ses pas, dans la famille qu’elle a composée, à sa façon. Et qui découvre qu’elle a laissé des traces dans le cœur de ceux qu’elle a chéris. Karine Reysset signe un très beau récit, d’une grande justesse.

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Joli roman tendre

« La maison est à cinq minutes à pied de la mer. Sans doute aurait-il fallu l’avoir en permanence sous les yeux. Seuls les cris des goélands me rappelaient que l’intérêt de vivre ici se situait à cinq cent mètres de chez nous. Nous venions d’entrer dans la mauvaise saison, et ce fut celle de trop. Je ne supportais plus les rues désertées, les restaurants et les cafés fermés une bonne partie de novembre et de janvier. Même le jour, j’avais parfois l’impression qu’il faisait nuit. Ça avait été une fausse bonne idée de s’installer ici. A la fin, la mer, le vent incessant, la pluie semblaient contre moi. »

La fille sur la photo c’est Anna. La photo a été prise au temps où ils formaient une famille. Depuis, Anna est partie. Serge l’appelle au secours parce que Garance, adolescente, va très mal. Serge n’a jamais été le mari d’Anna, c’était son compagnon, un très célèbre réalisateur, de presque vingt ans son aîné. Quand elle en est tombée amoureuse elle a pris le package, il avait trois enfants, elle a vécu avec eux. Elle a assuré les quotidiens, tous les détails pratiques, elle était dans l’ombre. Ça lui convenait bien. Ils sont partis s’installer en bord de mer. Elle a écrit des romans. Mais la vedette c’était Serge. Un hiver, elle a tout plaqué, son départ a ressemblé à une fuite. Elle nous raconte… Ce septième roman de Karine Reysset exsude la mélancolie (voire la désolation) et maintient ce cap sans fléchir, distillant des petits perles çà-et-là (un regard adulte sur une mère défaillante, une sincère interrogation sur le statut de romancière quand c’est son compagnon qui rencontre le succès, le désir de vivre en bord de mer et la manière dont on en revient, la place donnée au beau-parent dans une famille recomposée…), mais oeuvre lentement en même temps à faire naître l’espoir. Un espoir fragile, ténu, mais perceptible, et qui entraîne le lecteur dans un mouvement qui s’allège au fil des pages. Un roman qui m’a semblé vivant, abouti, et j’apprécie toujours quand d’autres romans sont cités (« Bord de mer » de Véronique Olmi ou « Lucy in the Sky » de Pete Fromm, entre autres).

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