L’auteur d’« Alabama Song », prix Goncourt 2007, toujours fasciné par l’Amérique, raconte dans son dernier roman la passion amoureuse impossible entre deux acteurs hollywoodiens des années 1950. A travers cette histoire singulière, c’est tout le cinéma de cette époque, avec ses figures mythiques, qui revit sous nos yeux.
Une histoire d’amour interdit
En 2004, à l’occasion de la nouvelle sortie au cinéma du film « La Piste héroïque » réalisé en 1948, deux des trois acteurs principaux, Joanne Ellis et Paul Young, ainsi que l’agent artistique Lenny Lieberman se confient à un journaliste, alors qu’au même moment le comédien Bob Lockhart se meurt sur son lit d’hôpital. Tour à tour ils racontent le tournage mémorable de ce western médiocre dans la canicule de l’Arizona, et la naissance du triangle amoureux entre les acteurs : Joanne est amoureuse de Bob qui aime Paul. Mais à l’écran comme à la ville, l’homosexualité est discriminée, et sept ans de traque et de diffamations dans la presse à scandale qui flatte un public bien-pensant auront raison de la passion entre les deux acteurs. Paul Young n’y a pas résisté, aujourd’hui sénateur conservateur, marié et père de famille. Cette histoire d’amour taboue dans une Amérique puritaine et hypocrite est à elle seule un véritable scénario de film, qui se paye une distribution de rêve.
L’envers d’Hollywood
Dans les coulisses des grandes productions lissées, les réalisateurs jouent les divas, les droits des acteurs sont bafoués, et les discriminations vont bon train. Entre fiction et réalité, nos personnages se mêlent aux noms les plus prestigieux. Lockhart incarne le self-made man et l’artiste maudit, alcoolique, drogué et mal-aimé, forgé par son mentor et ami Montgomery Clift. On croise aussi le couple engagé Bacall et Bogart, l’imbuvable Brando, la « vieille fée » de toutes les fêtes Mae West, Truman Capote et Tennessee Williams en homosexuels affichés, et James Baldwin, figure du mouvement pour les droits civiques. Gilles Leroy les aime, ses personnages, étoiles désabusées qui ont la classe de jouer leur rôle jusqu’au bout, même quand les projecteurs sont éteints, et nous offre un beau roman choral, subtil et sensible.