Tout a commencé lorsqu’elle avait 9 ans: rescapé de la Shoah, son père lui raconte l’histoire de la famille, tous tués par les Allemands, et il lui fait promettre de ne pas oublier.« Depuis, le poison est entré dans mon sang », écrit Myriam Anissimov, qui a obéi à l’injonction paternelle. Bien qu’étant née après la guerre, elle s’affirme « obsédée par la tragédie, le trou noir ». Le film « Le fils de Saul » se révèle un catalyseur : après l’avoir vu, l’auteure commence à écrire ce livre à la fois terrible et beau sur trois personnages : Romain Gary, un chef d’orchestre roumain nommé Sergiu Celibidade, et un inconnu nommé Samuel Frocht , son oncle, disparu à 17 ans en 1940 et dont jusque là il n’existait aucune trace . Le point commun entre ces hommes de sa vie ? Ils ont tous été confrontés à la Shoah et sont entrés dans son coeur pour ne plus en sortir.
Portrait de Romain Gary
Gary, on le sait depuis sa magnifique biographie, « Romain Gary, le caméléon» (Denoël ), fut plus qu’une aventure : dans l’appartement de la rue du Bac, l’ écrivain vieillissant et mélancolique qui veut encore séduire sa proie se confie et raconte l’histoire de son demi- frère , Jozef, mort de maladie puis de la seconde famille de son père, brûlée vive par les SS. Gary se souvient, pleure, et « les ombres de la nuit envahissent son salon ». Bientôt il en finira avec la vie. Saisissant portrait de l’homme célèbre pris dans le piège de la solitude et revenu de tout. La jeune Myriam n’a rien pu empêcher et s’en veut.
Comment lutter contre le passé ?
Mais qui aurait pu lutter contre ces souvenirs funestes ? « Je ne suis pas une juive moderne, je suis une ancienne juive polonaise qui ne saurait se déposséder de son passé, » explique- t -elle , elle qui débute dans la vie en vendant, horrible ironie, des ballots de vêtements dont elle apprendra plus tard qu’ils proviennent des camps polonais .
Avec Sergiu Celibidache, on entre de plain pied dans la musique de la guerre, de Malher à Wagner, des concerts dans l’Allemagne nazie à Terensienstadt, le camp dont le Führer voulait faire une ville modèle pour tromper le monde occidental. De la Shoah par balles en Moldavie au ghetto de Lodz, des rues de Berlin après la nuit de Cristal, du camp de Saint Cyprien en France à l’anéantissement des juifs de Hongrie, Anissimov n’oublie rien de l’horreur et fait montre d’historienne.
Arracher les siens à l’oubli
Mais c’est quand elle raconte son enquête sur la trace de son jeune oncle, parti dans les brumes avec pour seule arme son violon qu’elle se montre bouleversante. Comme elle l’écrit avec un brin de provocation , « un juif qui a de la patience finit toujours par apprendre où sa famille a été exterminée ». Pour elle, ce sera la piste de l’Espagne, puis le transfert vers l’Allemagne et enfin Sobibor. Livre de désespoir et d ‘effroi, portrait croisé de trois destins contrastés, «Les yeux bordés de reconnaissance» est un récit important sur ce passé qui ne passe pas où l’auteur nous emmène jusqu’à la fin de son oncle, aux portes de la chambre à gaz de Sobibor, aussi loin qu’elle le peut. Pour arracher enfin un des siens à l’oubli et à une mort anonyme. Poignant.