Vidal Balaguer est un peintre catalan. En cette fin de 19e siècle, il est maudit, pauvre et généreux. Balaguer peint pour vivre et ne vit que pour la peinture. Sa muse s’appelle Mar. Au cabaret les « 4 Gats », alors qu’il conclut une vente, Balaguer s’emporte. Il attrape une nappe blanche et enveloppe son chef-d’œuvre (le portrait en pied de sa muse) avant de s’éclipser. Dans les jours qui suivent, il se rend compte que certains objets de son atelier se sont volatilisés. L’acheteur des « 4 Gats » se révèle être un inspecteur de police. Il enquête sur Mar, interroge Balaguer.
Balaguer a bien constaté son absence sans l’expliquer, Facebook n’existe pas. Au fil des pages, le peintre se découvre le pouvoir de faire disparaître ses modèles, qu’ils soient fruits, tables ou humains. Une rencontre onirique avec la jeune Melpomène, du nom de la muse grecque pour la tragédie, confirme cette étrange disposition. Le récit s’enfonce dans le fantastique, aidé par le graphisme du dessinateur. Balaguer comprend qu’il a reçu ce don de Mar. Dans un ultime défi d’amour, il exécute son propre portrait afin de la rejoindre.
Avec ces « Natures mortes », Zidrou le scénariste et le subtil Oriol au dessin, se placent sous le signe du pinceau. La couverture, sur laquelle « L’Origine du monde » de Courbet se décline en plan américain, est recouverte d’une toile au toucher proche de celui du tableau. Zidrou, un stakhanoviste du scénario, est à l’origine de « L’Élève Ducobu » ou encore de « Tamara », adaptés au cinéma. Il lorgne dorénavant vers des récits pour adultes. Oriol nous transporte dans le Barcelone d’avant 1900. Le dessinateur catalan se risque dans le champ pictural avec une technique suffisante pour reconstituer l’atmosphère créatrice d’alors. La couleur réchauffe cette vie de bohème, tandis que de nombreuses cases expressionnistes brossent le portrait de ce peintre qui n’a jamais existé. Les auteurs proposent une biographie fictive, en laissant le lecteur à son interprétation. Le paradoxe réside dans ce livret explicatif fourni en fin d’album, pour découvrir l’éventuel Balaguer et son drame. Un pari culotté.