Né en 1924, William H. Gass est considéré comme l’un des écrivains américains les plus talentueux de sa génération. On lui doit « Le Tunnel » et « Le Musée de l’Inhumanité », deux grands romans traduits par Claro. Dans ce recueil de nouvelles, chut, on regarde et on écoute !
La leçon du piano
La première histoire a pour décor une petite boutique de photographie vétuste, sise au fond d’une ruelle inconnue, dont le propriétaire décourage les amateurs les plus avertis par son caractère taciturne et atrabilaire. Pourtant, Mr Lang conserve un véritable trésor : des clichés en noir et blanc signés des plus grands photographes. Comment cet ascète fétichiste a-t-il amassé une telle collection ? C’est ce que se demande A. Kelly, son « idiot » d’assistant… Regarder un monde disparu tout en nuances de gris, se souvenir des jours anciens, c’est aussi le lot des objets parlants dans deux nouvelles tout aussi brillantes. Le piano star du film « Casablanca » (1942) fait revivre avec une verve éblouissante ce tournage mythique, anecdotes savoureuses à l’appui sur les acteurs et les accessoires. Puis c’est au tour d’un vieux siège pliant rongé par la rouille d’évoquer le bon temps où il officiait dans le petit salon d’un barbier qui organisait à l’occasion des parties de poker clandestines.
Le style, la force de William H. Gass
On retrouve chez William H. Gass les influences de Faulkner et de Joyce, surtout dans le flux de conscience qui suit le parcours d’un représentant de commerce assailli par les mendiants, les demandeurs d’aumônes et les solliciteurs en tout genre au regard haineux et culpabilisant. Ailleurs, un enfant joue au train électrique tout en ne perdant pas une miette du cynisme et des mensonges des adultes qui se télescopent dans ce jeune esprit, dont le langage se disloque à grande vitesse. Et quand le discours déraille, il est doublé par d’autres signes, tel le jeu de mains hypnotique d’un professeur de musique alors suspecté d’hypocrisie. La puissance d’évocation remarquable, servie par une traduction excellente, souligne la grandeur du dérisoire et du détail où se niche la solitude des êtres dépassés et des objets obsolètes.