Entre eux
Richard Ford

traduit de l'anglais par Josée Kamoun
Points
mai 2017
168 p.  6 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Les parents, ces héros ordinaires

Richard Ford n’est pas seulement l’un des plus grands romanciers américains, prix Femina étranger pour « Canada » en 2013, génial inventeur du personnage de Frank Bascombe ; on le découvre aussi talentueux dans ce diptyque intimiste et pudique qu’il consacre à ses parents.

A deux sur la route

Parker et Edna Ford forment un couple fusionnel. Quand ils se marient à la fin des années vingt, Edna quitte son emploi de vendeuse pour accompagner sur la route son mari, voyageur de commerce pour une société spécialisée dans l’amidon de blanchisserie. C’est le début d’une vie à deux passée à sillonner les états du sud rural en voiture, séjournant à l’hôtel et dans les pensions de famille. Cette routine itinérante en duo dure une quinzaine d’années, jusqu’à ce que l’enfant qu’on n’attendait plus vienne au monde en 1944. « Ceci n’épuise pas le sujet, à l’évidence […]. La vie de nos parents nous échappe en partie, pas de leur fait mais du nôtre, et dans ces conditions s’apercevoir qu’on ne sait pas tout est affaire de respect car les enfants rétrécissent le cadre de référence de tout ce à quoi ils appartiennent ».

Le troisième élément

Quelle vie menaient nos parents avant nous ? Richard Ford tente une réponse en soulignant ses limites. Ce qui se passait « entre eux » lui échappe de fait parce qu’il ne figurait pas au tableau, au point qu’il ferait même figure d’intrus, de tiers immiscé « entre eux ». S’il n’a pas manqué d’amour, l’auteur avoue n’avoir jamais réussi à percer le mystère d’un père lointain, fatigué et déjà vieux, que sa mère et lui attendaient les fins de semaine à leur port d’attache de Jackson, Mississippi. Après la crise cardiaque qui emporte Parker Ford en 1960, la veuve et l’adolescent se rapprochent insensiblement, jusqu’au cancer dont mourra Edna en 1981. Si ce livre semble lisse et factuel, la distance est délibérée : « ce sont les faits qui comptent, non les opinions qu’on en a ». Richard Ford fixe la substance mémorielle de ces deux vies et pallie leur absence : « quand je me retourne sur l’existence […], ce qui me frappe, c’est la somme de tout ce qui s’est enfui », mais, pourrait-on ajouter, elle reflue dans ses romans comme autant de galets qu’on trouve sur une plage polie par la marée.

 

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