Entre fable moderne et critique sociale, « La saison des flèches » propose un récit loufoque en glissant une famille indienne dans une boîte de conserve. Dès la page 4, un encart publicitaire présente l’improbable invention d’un dénommé Mac Mulligan, à savoir le procédé de pasteurisation de l’Indien des Plaines, Sioux, Comanche, etc. Une fois accepté ce postulat, le scénariste Samuel Stento transforme l’appartement de la ville moyenne en province nord américaine et l’évier de la cuisine en mine d’or parcourue d’orpailleurs. En mode second degré, les auteurs fusionnent un mode de vie ancestrale et notre société occidentale.
De la confrontation quotidienne entre ces deux univers surgit un décalage maîtrisé de bout en bout. La qualité graphique de Guillaume Trouillard donne un crédit total aux péripéties à venir.
Le récit s’effectue à la première personne, sous la forme d’un journal du « chef de famille ». À l’aide de croquis, ce journal retrace la chasse au bison dans le couloir ou le feu de camp au milieu du salon, avec des Indiens rebaptisés Gérald, Marie-Paule et Sylvain pour l’ado. Les présentations accomplies, l’épisode du planté de flèche sur le parquet de la chambre à coucher annonce le futur arbre de vie. Symbole de partage, nos hôtes décident d’aller plus loin et compulsent l’indispensable manuel, « L’Indien en conserve ». Au plus fort de cette amitié, un avis d’expulsion marque le début de la résistance face à l’ennemi commun, la tunique bleue, devenue pour l’occasion le banquier en costume bleu devred. Assaillis dans le salon, retranchés derrière le sofa, aidés in fine par les Inuits, les couples s’échappent, empruntent le couloir canyon pour se réfugier dans la chambre, la terre promise. Un répit de courte durée. Rejointe par une foule ayant adopté des Apaches et autres Shoshones, la communauté se regroupe autour de l’arbre de vie. Tel un ultime refuge, ce dernier a poussé les murs de l’habitation. Subissant les nouvelles attaques des gens de la banque, Gérald et les autres sont poussés vers les cimes. Un large plan final nous ramène à la réalité, celle de la ville moyenne et de ses rocades.
Un véritable régal, la partie graphique aborde plusieurs styles avec la même aisance, dont l’aquarelle pour les planches en pleine page, telle cette descente en canoë du cours d’eau tumultueux dans la salle de bain, plus authentique que n’importe quel effet spécial. En équilibre constant entre l’absurde et le réel, « La saison des flèches » redessine l’histoire dramatique des populations indiennes, comme le reflet des migrations actuelles.