J’ai hésité. Je savais que ce serait un roman de Susan Minot, mais fallait-il choisir « La vie secrète de Lilian Eliot » ou plutôt « Crépuscule »? Et puis m’est revenue cette phrase, « tu ne verras pas les feuilles jaunir cette année », qui à chaque fois me plonge dans la même tristesse. Une condamnation que prononce le médecin d’Ann, alors que son cancer arrive en phase terminale. En neuf mots, tout est dit. On connaît déjà la fin de l’histoire, mais ce que l’on ignore en revanche, c’est tout ce qui s’est passé avant. Une odeur et une sensation, celles d’un petit coussin rempli d’aiguilles de pin, serviront de détonateur aux souvenirs, et au roman, puisque ce n’est pas l’agonie d’une vieille femme que nous raconte Susan Minot dans « Crépuscule », mais bien, comme l’écrit Daniel Arsand dans « Le Magazine littéraire », l’une des plus belles histoires d’amour de ces dernières décennies.
Mais revenons en deux mots sur l’auteure. Susan Minot est née le 7 décembre 1956 à Boston. Son premier livre, « Mouflets », paru en 1986, remporta l’année suivante le prix Femina étranger. Elle écrivit encore trois autres romans (dont notre sublime « Crépuscule ») et un recueil de nouvelles, c’est tout. Son dernier texte a été publié en 2003, et depuis plus rien. A la suite d’un chagrin d’amour, elle aurait fait une dépression, qui aurait tari son inspiration. Est-ce vrai? Cela ressemble à du Susan Minot en tout cas.
La famille d’Ann se trouve à son chevet, mais la malade est à des années lumière de cet instant, à des centaine de miles de cette chambre. La voici de retour en juillet 1954, au mariage d’une amie. Elle va y rencontrer l’homme de sa vie qui ne la partagera pourtant jamais: Harris Arden, un médecin. Toute son existence va être imprégnée de ces trois jours qu’ils auront passé ensemble. Lui devra repartir, épouser la fiancée qui l’attend à Boston. Elle, enchaînera les mariages, aura des enfants, mais regrettera inlassablement celui qui fut son unique amour. Comme toujours chez Susan Minot, les sentiments comme les existences sont baignés d’une nostalgie poignante. De regrets de ce qui aurait pu être si le destin en avait décidé autrement. Pourtant, au moment de basculer dans la mort, l’héroïne va enfin se réconcilier avec sa vie. Car si pour Susan Minot, la nostalgie est toujours ce qu’elle était, le désespoir en revanche peut se révéler moins définitif que ce que l’on aurait pu imaginer.