Un roman court mais dense, qui laisse peu d’espace au lecteur pour respirer! Dès les premiers mots je suis happée par le monologue intérieur de Jules, le permissionnaire, celui qui échappe enfin à l’horreur par la magie du papier bleu qu’on lui a remis. Quelques pages plus loin je retrouve ses frères d’armes, assurant la relève d’une compagnie. Chaque voix chuchote sa partition dans ce ballet de l’horreur : Marius, Boris, Ripoll, Barboni, ils sont une dizaine en tout à murmurer leurs doutes, leurs peurs, leurs souffrances à quelques minutes de l’assaut.
D’une écriture sèche, l’auteur nous donne à voir l’univers des tranchées, cet enfer creusé à vif dans la terre. Les phrases courtes, les répétitions parviennent à reproduire l’enfermement mental des hommes étouffés par la peur. On passe d’une scène à l’autre, d’une voix à l’autre sur un rythme rapide, comme ces films tournés caméra à l’épaule. La terreur et la folie se mêlent à la sueur, au sang, aux larmes de ces hommes poussés au bout de leur humanité.
La brièveté de ce roman lui donne une intensité qui marque l’esprit. Nul besoin de plusieurs centaines de pages à Laurent Gaudé pour restituer l’horreur de ce conflit meurtrier. On comprend mieux le silence des rescapés, incapables de donner voix à leur mémoire.
Après cette lecture, les cris de ces poilus résonneront longtemps dans ma mémoire.