« Elle pense à sa grand-mère, qui préparait toujours des gâteaux pour les familles en deuil ». Elle, c’est Sella, le personnage central de ce roman coup de cœur. Une mère qui a perdu son fils adoptif dans un accident il y a quelques années et qui s’interroge sur l’attitude à adopter vis-à-vis de voisins dont la fille a perdu la vie lors de la tuerie d’Utøya. Comment montrer sa solidarité avec des parents endeuillés, même si leurs deux drames n’ont rien de comparable, se demande Stella dont le fils est décédé dans un accident de bateau alors qu’il était parti sur les traces de sa mère biologique, aux Philippines. Drame d’autant plus douloureux que lien était distendu depuis quelques années entre Kim, l’adopté écorché vif et Sella ou son mari Arild. De l’autre une famille dont la fille a été tuée par Anders Brevink lors des attentats qui ont secoué la Norvège en juillet 2011 (même si cette tragédie n’est pas citée dans le roman d’Evjemo).
« Vont-ils considérer son geste comme une manifestation d’empathie ou comme une intrusion dans leur vie privée » s’interroge Sella en préparant inlassablement des pâtisseries qu’elle ne se résout jamais à apporter à ses voisins.
Pour écrire cette fiction, Eivind Hofstad Evjemo a puisé dans ses propres souvenirs, se remémorant la manière dont sa propre famille avait vécu le décès de sa sœur (née avec un handicap), se rappelant les silences, les douleurs muettes, les injonctions à « tourner la page ».
Lorsque l’histoire démarre, les parents de la jeune fille assassinée sont invités à parler de leur deuil lors d’une émission commémorative (les attentats d’Oslo et Utøya firent 77 victimes). « Le deuil est comme un bateau lourd à manœuvrer (indique le père). Il faut ramer et écoper en même temps (…) ». L’image est saisissante pour les protagonistes de cette histoire qui se déroule sur plusieurs époques: de 1985, avec la rencontre entre Sella et Arild, à 2014 où des bébés chats qui envahissent leur lotissement vont la forcer à aller à la rencontre de ses voisins. Plus qu’une fiction sur le deuil d’enfant pour des parents, Evjemo s’est attaché à décrire la difficulté du vivre ensemble après un deuil national, à mettre en regard les différentes stratégies dans la manière de faire face. De l’incapacité, parfois, à manifester de l’empathie, à l’étonnement de voir la vie continuer, malgré tout : « le bonheur qu’elle (Stella) éprouve a un rapport avec le temps, elle le sait. Il vient d’une concordance entre autrefois et aujourd’hui, d’un sentiment d’immuabilité ; ce qui vit englobe ce qui a disparu. C’est le sentiment qui, pour elle, se rapproche le plus d’une foi religieuse ». Un livre fort qui se lit, se relit et relie imperceptiblement les endeuillés entre eux.