Il faut beaucoup aimer les hommes
Marie Darrieussecq

Folio
21 août 2013
304 p.  8 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

un film en noir et blanc

Au départ, l’exercice peut sembler périlleux, car dans son nouveau livre Marie Darrieussecq s’attaque à un sujet délicat et finalement très peu traité dans la littérature française : une Blanche tombe amoureuse d’un Noir. La romancière a choisi de raconter l’histoire du point de vue de la jeune femme et les écueils, comme la possibilité de s’enliser dans les clichés et la mièvrerie, étaient nombreux.

L’auteure de « Tom est mort » (2007) ou « Naissance des fantômes » (1998) déjoue pourtant les obstacles avec beaucoup d’aisance. Par exemple, elle a choisi de placer son récit dans une situation exceptionnelle, en le délocalisant en Californie puis sur un plateau de tournage au cœur de l’Afrique, et les deux protagonistes sont riches et célèbres. Exit donc les questions purement sociologiques et franco-françaises qui auraient pu encombrer son propos.  On retrouve Solange, l’héroïne du précédent roman de Darrieussecq, « Clèves », Solange devenue actrice française et vivant à Los Angeles, où elle fait la connaissance de Kouhouesso, la nouvelle coqueluche d’Hollywood, superbe jeune acteur né au Congo. Et elle tombe éperdument amoureuse de lui. Entre eux, une histoire débute.

Mais Kouhouesso a le projet, grandiose, d’adapter  pour le cinéma « Au cœur des ténèbres », le célèbre roman de Conrad. Un énorme défi professionnel et financier car Kouhouesso tient à tourner en pleine jungle africaine. Ce projet l’obsède, le dévore, lui prend tout son temps. Et pour lui, le symbole culturel qui est ici en jeu, montrer un point de vue africain sur cette œuvre, dépasse la simple réalisation d’un film.

Il aime Solange mais, pris dans son projet, n’a pas vraiment le temps de penser à elle. Elle espère un rôle dans son film. Elle voudrait exister à ses yeux. Elle attend. Le suit sur le tournage qui se déroule dans des conditions éprouvantes mais lui permet de découvrir l’Afrique loin des touristes. Elle espère beaucoup de ce voyage, trop peut-être, alors que lui est accaparé à chaque heure par mille difficultés pratiques. Et d’innombrables questions surgissent. Solange analyse les a priori qu’elle véhicule, mais aussi la façon dont sont perçus les Noirs dans le monde moderne. Qu’est-ce que des pays développés conservent comme archaïsmes ? La France est-elle différente des Etats-Unis ? Solange observe également beaucoup Kouhouesso, elle veut le comprendre, s’interroge sur son parcours, sur ce qui le constitue, sur cette rage qui semble ne jamais le quitter. Elle craint à chaque instant de commettre un impair, de le décevoir, mais s’agace aussi de son intransigeance. Et tous deux doivent bien sûr affronter le regard des autres, déjouer les clichés, se libérer de leurs propres préjugés pour pouvoir se rencontrer.

Livre riche donc, intelligent, et qui, au-delà de son sujet central -une Blanche qui rencontre un Noir- dit beaucoup sur les relations hommes-femmes en général et met en évidence des schémas ancestraux dont nous ne sommes pas encore totalement débarrassés.

Car ici, l’homme est dans l’action, la femme dans l’attente. Elle espère trouver un rôle dans sa vie à lui, tente d’être à la hauteur et de s’intégrer dans ses passions. Elle cherche sa reconnaissance quand lui s’occupe d’autre chose. Kouhouesso se fiche au fond de ce que Solange pensera de son film, l’enjeu est ailleurs, alors qu’elle est entièrement suspendue à ses regards.

Comme souvent, Marie Darrieussecq pointe les archaïsmes de nos comportements, elle qui depuis toujours sonde les relations entre les hommes et les femmes. On retrouve donc ici l’auteur de « Truismes », certes dans un autre registre, mais avec les mêmes préoccupations.

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coup de coeur

coup de foudre, coup de coeur

Le coup de foudre a encore fait une victime !
Soirée mondaine, milieu du cinéma, Hollywood ou Doowylloh, comme vous voulez. L’évidence est là, c’est LUI, « charismatique, énigmatique », les ondes électriques ne mentent pas. Attirance, évidence…

Commence alors pour Solange, star frenchie d’Hollywood -qui a laissé son fils à Clèves à la charge de ses parents, surtout de son père- le temps de l’attente car c’est lui qui donne le tempo. Lui au nom imprononçable pour un acteur, même de second rôle. Mais, il veut marquer son territoire, son caractère. Il s’appelle Kouhouessou. De vraies belles nuits d’amour et, entre temps, l’attente. L’attente qui ronge, l’attente qui déstabilise. « Attendre est une maladie. Une maladie mentale souvent féminine » lui dit son amie Rose et c’est vrai qu’elle est vraiment malade !
Cet homme n’est pas libre. Il n’y a pas une autre femme dans sa vie –on lutte plus facilement contre une rivale en chair et en os- non, il a une idée fixe ; réaliser un film d’après le livre de Conrad « Au cœur des ténèbres » mais, en décors naturels en Afrique. Pour Kouhouessou, il est grand temps que l’Afrique raconte sa propre histoire et c’est ce qu’il va finir par faire.

Cette grande idée lui prend tout son temps, toute son énergie et il ne vient la voir que pour se ressourcer, boire à la source claire de son amour. Pour ne pas sombrer, Solange veut absolument faire partie de la grande idée, s’en empare. Elle voudrait tant qu’il la voie, qu’il l’emporte plus que l’accompagne, avec lui en Afrique. Pour elle, faire partie de la distribution c’est faire partie de LUI. Elle veut être la promise du film, s’incrustera pendant le tournage. Elle s’intéresse à lui, à son univers, lira les livres d’Aimé Césaire, apprendra l’Afrique ou, plutôt, les Afriques. Elle veut faire partie de sa vie, jusqu’a aimer les traces incrustées sur son visage des nattes de Kouhouessou. Oui, elle l’a dans la peau.

Solange, à travers son amant, apprend la couleur de la peau, les regards des gens sur le couple qu’il forme, « ils étaient politiques ». Elle découvrira encore plus lors du tournage

Solange retrouve l’attente lors du tournage au cœur de la forêt africaine. Des pièces dépourvues de tout confort, même le minimum. Là Marie Darrieussecq a mis la surmultipliée. Un vrai film dans le livre. On sent la vitalité qu’elle y a apportée. La scène de la pluie en bouteilles, miam, miam. On sent la fatigue, la lassitude lors de la traversée de la forêt en 4×4 sous la pluie et dans la boue puis à pied pour arriver à la grotte du tournage, la partie où elle doit jouer.

Bien sur, on suppute la fin de l’histoire, mais ce n’est pas là l’importante. ce roman est jubilatoire et fort bien documenté. L’écriture riche de Marie Darrieussecq emplit les pages du livre, sans laisser le moindre espace vierge. C’est un bouquin jouissif, la passion vibre à chaque ligne. Nous passons de la passion amoureuse à la passion créatrice, de la genèse d’un film à la fin d’un amour en passant par des approches politiques du racisme et de la mixité.

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