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Tu seras ma voix, je serai tes yeux
« Elle pensait qu’aucun contact n’était aussi immédiat ni aussi intuitif que le regard. » Un roman délicat, sensible, d’une tristesse infinie, pas vraiment facile à lire et d’un rythme très lent. Les six dernières pages totalement épurées ne sont que poésie.
coup de coeur
Trouver une langue
L’auteure coréenne Han Kang, lauréate du Man Booker Prize en 2016 pour « La Végétarienne », publie un roman poétique tout en subtilité, autour de deux personnages fragiles enfermés dans leur solitude, qui se retrouvent dans l’étude d’une langue morte. Il est professeur de grec ancien dans un cours privé pour adultes, elle est l’une de ses étudiantes. Il est en train de devenir aveugle à cause d’une maladie, elle est inexplicablement muette. Rien ne les rapproche, sauf ce cours du jeudi soir et leur infirmité pourtant différente : la vue, la voix. Elle n’est bien que dans le noir, où elle reste assise pendant des heures, absente au monde et farouche ; lui ne sort que dans la lumière, parce que c’est encore là qu’il discerne le mieux le contour des choses. Il passe aussi beaucoup de temps à se remémorer des fragments de ses années allemandes, de ses blessures d’amour, comme si sa vie était un puzzle épars dont il peinait à rassembler les pièces. Elle pense à son fils dont on lui a enlevé la garde, et aux poèmes qu’elle écrivait, avant. Un jour, il a besoin d’elle. Alors que la communication est le maître mot de notre époque, l’auteure met en présence deux personnages qui en sont exclus ; comment établir la relation entre une aphasique et un aveugle ? Par ailleurs, qu’est-ce qui peut faire signe dans un monde où paroles et images nous parviennent en flux continu et envahissant ? Pour exister, il ne suffit pas d’habiter un pays, il faut aussi habiter une langue maternelle, étrangère ou morte ; et pour se comprendre, maître et élève doivent inventer à tâtons un langage à eux qui sera imagination, sensation, idée. Dans ce roman des « presque » : pas encore aveugle, pas tout à fait muette, on est toujours à la lisière de la douleur, de la perte imminente et de la peur de s’aventurer plus avant pour trouver l’autre. L’histoire baigne dans une atmosphère feutrée, cotonneuse ; il faut un peu deviner, lire entre les lignes, et se laisser porter par une phrase belle, parfois esquissée, parfois interrompue, comme un fil en pointillé entre deux êtres.
J’avais beaucoup apprécié « La végétarienne » , attirée par la littérature asiatique, l’envie de retrouver la plume d’Han Kang était grande. Je me suis à nouveau régalée. Lui est un professeur de grec ancien. Adolescent il avait quitté la Corée pour l’Allemagne. Atteint d’une maladie dégénérative, il perd progressivement la vue. Il décide alors de revenir seul dans son pays la Corée du Sud. Il y enseigne le grec ancien en cours du soir à une poignée d’étudiants. Il camoufle son handicap de plus en plus grand en portant d’épaisses lunettes.. Une de ses étudiantes l’intrigue. Elle est vêtue de noir et semble avoir perdu l’usage de la parole. En effet, ce n’est pas la première fois, elle était déjà entrée dans un mutisme étant adolescente. « La chose avait fini par se produire un hiver, alors qu’elle venait d’avoir dix-sept ans. Les paroles qui l’enfermaient et la piquaient comme un habit tissé de milliers d’aiguilles avaient soudain disparu. Elle les entendait de ses deux oreilles, mais un silence semblable à une couche de brume épaisse et dense faisait bouchon quelque part entre celles-ci et le cerveau. Le souvenir de la langue et des lèvres qui servaient à les prononcer tout comme celui de la main tenant un crayon étaient devenus impalpables, enveloppé qu’il était dans ce silence cotonneux. Elle ne pensait plus en mots. Elle agissait sans mots, comprenait sans mots. le vide, pareil à celui qui précède l’apprentissage de la langue ou même la conception de la vie, absorbant le temps comme un nuage, encerclait son corps et l’envahissait.’ A nouveau, elle avait perdu les mots, l’usage de la parole, impossible pour elle de communiquer avec la voix. Elle se plonge alors dans le grec ancien car il est important pour elle de trouver les mots justes, l’essence de ceux-ci. Ils sont tous deux « enfermés », « isolés » au plus profond d’eux-mêmes. Une perte en point commun, celle de la vue, celle de la parole. Des blessures enfuies au plus profond, depuis le presque début de leur histoire. Un événement fortuit se produira et leur permettra peu à peu de se reconstruire, de renaître tel le phénix de ses cendres. Un nouveau langage, une nouvelle communication naîtra. Dans le récit, chacun s’exprime tour à tour. Il est parfois difficile de savoir qui s’adresse à nous. L’histoire de Platon, du grec ancien, ces leçons de grec amènent les personnages à se construire peu à peu. A travers l’usage de cette langue morte, elle sortira peu à peu de son isolement. C’est de la littérature asiatique, cela signifie que c’est lent, très lent, et on va droit au coeur des émotions. Mais quelle écriture magnifique ! Epurée, poétique, splendide. La construction du dernier quart du roman est très particulière, un peu déroutante. Les choses deviennent plus floues, plus confuses pour le lecteur à l’image sans doute du ressenti des personnages dans leur enfermement mais quelle beauté, quelle magnificience. Le langage et l’expression sont au coeur de ce récit. On découvre les failles, les blessures, la tristesse et les solitudes des narrateurs avec une association de mots juste parfaite. Un récit à la langue aérienne, tout en sensibilité. J’adore. Ma note : pas loin du coup de coeur 9/10 Les jolies phrases Autrement dit, le grec qu’utilise Platon est comme un fruit mûr juste avant qu’il ne tombe. Par la suite, le grec connaît une décadence rapide. Les états helléniques entrent simultanément en déclin. En ce sens, Platon précède le crépuscule de son monde et pas seulement de sa langue. A présent les mots ont quitté son corps, ainsi que les âmes errantes, ils la suivent à une distance où ils restent à peine audibles. L’univers est une illusion, vivre c’est rêver. L’obscurité viendra si j’éteins la lampe. La nuit de mes yeux, plus noire que l’encre, où les tenir ouverts ou fermés ne change presque rien. On dit que, pour les Grecs de l’antiquité, la vertu n’était pas la bonté ni la noblesse, mais la capacité de mener à bien une tâche. Réfléchis. Quel est l’homme le plus apte à penser à sa vie ? Celui qui peut affronter la mort n’importe quand n’importe où … Celui qui en conséquence ne peut pas ne pas réfléchir sur la vie constamment et désespérément … Ne serait-ce pas quelqu’un comme moi qui possède la meilleure arété en matière de pensée ? Elle se penche en avant. Dans ce foutu pays, il faut sourire quand on croise le regard de quelqu’un même si on ne le connaît pas. Je ne veux plus sourire. Je veux vivre comme mon coeur me dicte. Je ne sourirai plus, même chez nous. Cela ne veut pas dire que je suis en colère, ne vous méprenez pas. Quand je rencontrais un regard, je souriais par réflexe. J’ai réalisé en sortant dans le hall, en me frayant un chemin parmi les gens qui attendaient les passagers … qu’enfin je passais inaperçu. Si la neige est un silence qui descend du ciel, la pluie est peut-être faite des phrases interminables qui en tombent. Des mots tombent sur les trottoirs, sur les terrasses des immeubles en béton, sur des flaques d’eau noirs. Ils giclent. Les mots de la langue maternelle enveloppés dans des gouttes de pluie noires. Les traits tantôt ronds, tantôt droits, les points qui sont restés un bref moment. Les virgules et les point d’interrogation qui se courbent. Retrouvez Nathalie sur son blog |
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