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Le Livre que je ne voulais pas écrire
Erwan Larher
QUIDAM EDITEUR
made in europe
août 2017
268 p. 20 €
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Les internautes l'ont lu
coup de coeur
Trous de balles n’effacent pas la mémoire…
Aller au-devant des galères fait souvent partie des misères humaines… « c’est un peu le jeu ma bonne Lucette ! »… mais aller droit aux enfers, c’est plutôt contre nature, à moins d’être vraiment déboussolé au niveau comportemental et de se trimbaler une de ces névroses à relents suicidaires comme certains grands exaltés fanatiques et autres maniaco-dépressifs en sont peu ou prou affectés…
Quittant le seuil de sa maison, ma foi, tout peut arriver, on peut envisager le pire… mais c’est bien à cela qu’on pense le moins en sortant de chez soi. Et, si en plus, votre but de sortie est d’aller assister à un spectacle fut-il un concert de hard rock, rien ne vous effleure l’esprit qu’à cet endroit vous allez vivre le pire cauchemar de votre existence à la différence que le cauchemar n’a rien d’un affreux rêve mais n’est que la terrifiante et inconcevable réalité…
L’auteur du livre nous raconte le 13 Novembre 2015 tel qu’il l’a vécu au Bataclan entre 21H15 et 2H30 du matin… car ce soir là Erwan Lahrer assistait bien au concert des EODM (Eagles Of Death Metal)… métal de la mort… le signe est fort, la symbolique de l’aigle qui porte la mort en ses serres alors que, des bouches à feux, fusent des milliers de petits bouts de métal perforant, elle, est apocalyptique !
Vivre cela jusque dans ses chairs meurtries au milieu du chaos, de mares de sang, de corps abattus certains déjà inertes, d’odeur de poudre, d’enchevêtrement de bras de jambes, couché dans sa fange, faisant le mort, attendant la balle du coup de grâce, que l’on soit le meilleur écrivain du monde, on n’a aucunement envie de conter et donc revivre ces instants de l’horreur absolue.
Manuel et Alice vont devoir se montrer très persuasif face à un Erwan convalescent qui a juré par tous les grands dieux du panthéon des littérateurs que jamais il n’écrirait un tel livre où il serait son propre héros, lui estimant qu’en la situation il n’a jamais été héroïque, sinon recroquevillé sur son être dépourvu, non d’humanité mais plutôt d’âme, de ce « soi-je » anesthésié par la peur de mourir ne sachant s’il n’est pas déjà mort, vautré dans la fange hémoglobine, son insupportable odeur, attendant que ça se passe… que ça se passe… mais quoi… au juste… que se passe-t-il à ces heures de la nuit qui soit un événement dont on sent bien qu’il est intensément dramatique, hors toute bonne raison, disproportionné dans l’horreur ayant déjà franchit de loin, les frontières de l’inimaginable ?
Il est « caillou » nous dit-il …
En fait, dans ce drame hormis toutes les victimes et les survivants, Ils se trouvent être deux : L’homme Erwan et l’écrivain… alors question : lequel témoigne ?…
Très curieusement quand il écrit à la première personne, ce n’est pas lui qui s’exprime ce sont ceux qui ont vécu l’événement de l’extérieur et ils sont nombreux, ses amis, ses relations, sa famille, ses parents qui, ce 13 Novembre, dès 22H, sont informés de l’effarante actualité des attentats perpétrés dans Paris et jusqu’au stade de France à Saint-Denis.
Ce sont eux, les vrais héros, nous dit l’auteur ou, si vous préférez, l’écrivain, eux qui se sont fait un sang d’encre, ont angoissé sur le sort de Erwan dont ils avaient su qu’il était ce même soir au Bataclan, salle de spectacle devenue soudainement le théâtre d’un carnage innommable.
C’est à la deuxième personne que l’auteur décrit ce que Erwan a vécu minute par minute ce soir là et les jours d’après ? Un peu comme lorsque l’on se parle à soi du dehors pour apprécier ses faits et gestes, ses menées avec une empathie empreinte de neutralité, confident mais pas complice et surtout sans concession sur sa propre image…
L’homme se livre à nous, se libère de certains poids alors que son corps est devenu pesant, son entendement opaque, son âme retournée à l’enfance. Oui, on se trouve dans l’intimité de Erwan Lahrer, qui ne se départit nullement d’une certaine pudeur au niveau des sentiments, celle concernant son anatomie, elle, il la remise au cimetière des tabous car, se prendre une balle dans les fesses, lui vaudra d’exposer ces fondements si intime de sa personne à bien des regards de praticiens du milieu hospitalier autant qu’à des amis qui veulent comprendre le pourquoi une putain de balle ça rentre et ça sort non sans provoquer des lésions physiologiques aux conséquences redoutables…
Et, coïncidence frisant le comique, Erwan Larher est entrain de mettre une dernière main à son manuscrit « Marguerite n’aime pas ses fesses»
Alors, ce livre qu’il voulait ne pas écrire, eh bien, il faut le lire absolument… non poussé par les basses motivations tenant au voyeurisme quant au récit du carnage car l’auteur va bien au-delà , il ne veut pas que le lecteur sombre dans le misérabilisme le plus noir, au contraire, il nous montre tout ce qui s’est passé autour de l’événement, racontant ce qu’il a appris par la suite de la bouche de ses amis et relations l’ayant en grande estime, et qui se sont vivement inquiétés de son sort au cours de cette folle nuit du 13 au 14 novembre 2015.
L’auteur n’a rien perdu de sa verve et de son vocabulaire, ni du sens puissant de l’image pour, aussi, mettre noir sur blanc, tout ce qui lui a effleuré l’esprit pendant et après cette terrible nuit. Cela remis en ordre dans le livre, il développe alors un condensé de réflexions parfois profondément philosophiques sur la condition humaine de notre temps en phase avec la réalité sociale et historique de ce que l’humanité fomente en petit ou en grand, en cercle ou en comité au niveau politique, ou en entreprise… misère des hommes et des femmes de notre temps présent, en proie à la course folle du réussir pour exister et non du exister pour, au moins, avoir réussi à être vraiment soi.
Romancée, doit l’être la partie où il plonge dans les derniers instants avant l’assaut des trois terroristes qui ont semé la mort au Bataclan et qu’il nomme alors : Efrit, Saala et Iblis. Derniers échanges, états d’esprit, mouvements d’humeurs de ces sinistres porteurs de mort. Plus loin, il y aura tout un plaidoyer sur les circonstances qui ont poussé ces hommes vers l’inacceptable barbarie, un plaidoyer qui n’excuse nullement leur passage à l’acte mais qui démontre comment ils se sont fourvoyés sur le monde auquel ils appartiennent et dont ils ont tant de mal à penser, n’ayant fait la part entre ce que l’on doit en attendre et ce que le monde a à attendre de nous : recevoir donner – donner recevoir… Qu’est-ce qui n’a pas été intégré chez ces pseudo intégristes ?…
Lisant ce livre, j’ai beaucoup aimé ces passages où, en grande sincérité, Erwan Larher fait l’éloge du personnel hospitalier à tous les échelons de la hiérarchie et des compétences, du chirurgien à l’aide-soignante. Il en relève beaucoup d’humanité, de dévouement relayé par la bonne dose d’empathie et de compassion nécessaire pour soulager, permettre de reprendre espoir, et surtout guérir, faciliter l’autoguérison du corps et de l’âme.
Page 169, paragraphe en bas de page, au début des quatre dernières lignes : « le corps ne se retape pas sans amour ; il faut lui donner une raison de lutter. Tu bénis ton naturel jovial, qui te fait non pas prendre mais recevoir l’épreuve à la légère. Il existe un mot en occitan : lou ravi ».
Oui, parfois le destin nous pousse vers des endroits infernaux où en toute lucidité, on ne voudrait jamais mettre les pieds… on peut, comme l’auteur y laisser ses santiags mais jamais son âme pour peu qu’on garde la bonne dose d’humilité, justement, en recevant cette épreuve à la légère, et en sachant sourire à l’ange qui nous adombre…
Un très grand moment de lecture et surtout une formidable leçon d’humanité …
coup de coeur
Octobre 2017 est un mois riche en rencontres littéraires et hier soir, j’en ai eue une de plus avec Erwan Larher dans ma librairie très active pour cela. Au fait, il faudrait que je la cite un peu : c’est « L’Attrape-Mots », rue Paradis à Marseille, avec Agnès qui a mené l’interview.
D’habitude je dis, à la fin de ma critique : « Merci » à l’auteur mais cette fois je le dis au début : « Merci Erwan d’être venu nous parler de votre livre : Le Livre que je ne voulais pas écrire ». Merci de votre présence si amicale, chaleureuse, enthousiaste, pleine de drôlerie.
Il n’est pas facile d’écrire sur un sujet aussi grave.
Venons-en à ce livre que j’avais déjà lu avant cette rencontre et pour lequel, poussé par votre entourage, vous vous êtes décidé à l’écrire alors que pour vous l’idée ne vous était pas venue à l’esprit car c’était un fait divers personnel. Vous vous êtes dit que cette « mésaventure » n’était plus tellement uniquement la vôtre mais qu’elle était « collective ».
Quand vous commencez à raconter les faits, vous écrivez en page 18 : « La violence ? Elle arrive ». Mais aussi « Tu es le paradigme d’une civilisation défiée, de la liberté agressée. Tu n’as compris cette identification que très tard, même si depuis ce 13 novembre 2015, sans cesse on te demande, (puisque vous êtes écrivain) si tu vas écrire dessus.
Non. Tu vas écrire autour » (page 38).
Vous vous trouviez donc au Bataclan, ce vendredi 13 novembre 2015, au mauvais endroit, au mauvais moment et votre lecture du passage de l’achat de votre billet d’entrée a été faite de façon bien amusante. D’ailleurs, ce livre est truffé d’humour malgré l’horreur de l’événement. Et vos santiags qui d’ailleurs figurent en couverture.
Pour vous, écrire c’est « défendre la civilisation, questionner le monde ». Et votre ambition est que vos livres soient lus encore dans cinquante ans. C’est bien ce que l’on vous souhaite.
Certes vous vous en êtes sorti vivant, mais avec de nombreuses blessures (à une fesse) et donc une hospitalisation : là aussi votre description du transport en ambulance est sacrément comique, bien que votre place ne soit pas à envier et que vous ne racontez que la vérité, aussi incroyable soit-elle.
Le récit commence par : « Tu écoutes du rock. Du rock barbelé de guitares et de colère ». Le rock, il en est bien question puisque ce soir-là , vous êtes allé au concert de EODM (Eagles of Death Metal) et lorsque les premières balles commencent à fuser, on pense à des pétards. Mais bien vite, des HURLEMENTS (majuscules utilisées dans le livre, on verra plus tard l’explication) s’élèvent avec des blessés et des morts qui tombent ; C’est un carnage mais finalement vous êtes secouru (au bout d’un long moment) avec la peur de l’hémorragie, la peur de mourir sous les balles de Kalachnikov.
Ce roman est à plusieurs voix car vous avez incorporé des textes dans des chapitres intitulés : « Vu du dehors », des textes de proches sans nouvelles de vous car vous aviez oublié votre portable !
Vous parlez à Iblis, un terroriste (ce nom que vous lui avez attribué correspond à un djinn, mais dont la racine arabe est : désespérance), en vous demandant comment on peut arriver à vouloir se suicider.
Votre écriture alterne du « je » eu « tu », des allers-retours, mais à la fin du livre c’est le « tu » qui prédomine et là vous pensez : « délivrance ». Du coup le lecteur se met à votre place. Cette écriture a été très laborieuse, avez-vous dit, mais finalement elle a été rapide puisque l’ouvrage a été publié en octobre 2017. Que dire de votre éditeur qui ne voulait pas de bas de pages et de votre façon de l’entourlouper en les incorporant dans le texte. Bien joué.
De votre point de vue, vous n’êtes pas un moraliste mais un romancier. Le lecteur doit avoir changé son point de vue en fermant le livre.
A signaler vos moments de lectures (demandées à l’unanimité par un nombreux public présent : vous avez fait salle comble) et vous avez choisi des passages humoristiques,. L’humour, toujours l’humour qui émane de vous. Vous avez également cité cette phrase, présente dans le texte : « Un romancier doit jouer avec le lecteur et ne doit pas se jouer des lecteurs ».
Pour vous, du moment qu’il y a de l’authenticité, peu importe ce qui est vrai ou pas. Ce qui compte c’est la justesse, la reconstitution des faits.
Que rajouter de plus sans dévoiler le reste de l’intrigue ? Un point sur la graphie : des pages presque blanches avec un seulement un texte court et que vous avez joué avec la typographie, notamment avec le mot HURLEMENTS.
Pour ma part, il faut tout de même que j’en arrive à la conclusion car autrement je raconterais le livre et je vous adresse à nouveau un grand MERCI. Merci d’avoir décidé finalement d’écrire « Le livre que je ne voulais pas écrire ». J’aurais aimé écrire encore plus sur cette soirée et sur votre livre, mais il faut bien une fin aux bonnes choses.
Ç’aurait été tellement dommage de ne pas partager ces moments avec vous le rescapé du Bataclan.
A présent, il me reste à lire « Margot n’aime pas ses fesses » (encore une histoire de fesses) qui m’attend. A mon avis, je vais encore y trouver beaucoup d’humour malgré le fond de l’histoire et certainement encore des pépites.
Je voudrais juste rajouter cette petite critique : « L’horreur selon Larher. Un récit qui échappe à tous les cadres. » (Pierre Vavasseur, Le Parisien et qui travaille aussi à France Inter).
coup de coeur
nuit blanche
Le livre que j’aurai voulu ne pas aimer lire
Erwan Larher, à son corps doublement défendant – parce qu’il ne l’a pas souhaité et parce qu’il en a souffert dans ses chairs –, se trouve être le seul écrivain à avoir vécu les événements du Bataclan de l’intérieur. Il a toujours refusé d’en parler publiquement, entre autre, pour n’être taxé d’aucune récupération de cet événement vis-à -vis de sa carrière d’écrivain et ne pas être lui-même récupéré par qui que ce soit. Mais sa position singulière devait bien finir par le pousser, aidée par ses amis, à écrire un livre à ce sujet.
Toute la question était, de l’aveu même de l’auteur, de ne pas faire juste un livre sur le Bataclan mais un objet littéraire. D’écueils en pièges, d’embûches en chausse-trappes, de montagne à gravir en marécages à enjamber, Erwan Larher a finalement réussi à les surmonter et, et cela se sent dès les premières pages, à écrire non pas un objet littéraire SUR mais un objet littéraire AUTOUR du Bataclan.
Mais comment a-t-il donc réussi ce tour de force ? Tout simplement (ceci est sans aucun doute une litote) en mêlant intime et collectif, en s’effaçant, en acceptant de ne plus totalement s’appartenir. Tout d’abord en utilisant le « je », le « tu » et le « il » qui renvoient à des « nous », des « vous » et des « ils ». Erwan Larher s’interpelle, se harangue, s’agresse sans concession : il s’extraie de lui-même pour s’observer et se transformer en un autre personnage, un autre de lui-même.
Ensuite, Erwan Larher a inséré des chapitres intitulés « vu du dehors » écrits par son entourage : famille, amis, amours… Ces « vu du dehors » répondent à cet autre Erwann Larher qui sort en quelque sorte de son propre corps, ou du corps de son hôte-auteur, pour se regarder du dehors. Autant de chapitres que de voix différentes, plus ou moins égales mais jamais discordantes, qui contrebalancent les récits d’Erwan Larher. Cet équilibre permet au livre de respirer, au rythme d’Erwan Larher, au rythme de l’auteur qui l’habite, au rythme de ses hôtes.
On pourrait caricaturer/réduire le récit d’Erwann Larher pour le réduire au triple questionnement suivant : « où c’est que j’ai mis mes santiags ? », « est-ce que je vais rebander ? » et « suis-je un caillou ? suis-je Sigolène ? » (cette dernière interrogation renvoyant à certains des plus somptueux passages du livre et au livre de Sigolène Vinson « Le caillou » écrit et publié après les événements de Charlie Hebdo). De ce nombrilisme, Erwan Larher en fait un leitmotiv salutaire pour lui et un credo universel pour nous, lecteurs, qui renvoie aux questions que l’on s’est tous posées : vais-je me relever de ces attentats ? qu’a-t-on perdu d’humain dans ces attentats ?
Malgré les artifices littéraires employés par Erwan Larher, on suit quand même une chronologie des faits, une succession d’événements, de situations qui impliquent l’auteur. On se replonge alors dans sa propre chronologie de faits et d’événements. Où était-on ? Que faisait-on ? Mais à cause des artifices littéraires employés par Erwan Larher, on fait bien plus que cela. On replonge aussi dans les pensées qui nous assaillaient ce soir-là et qui pour certaines nous assaillent toujours.
Et on se prend à répondre avec la voix d’Erwan Larher que l’amour est effectivement plus fort que tout. L’amour de ses proches, bien entendu, mais aussi et surtout l’amour universel qui rapproche les être humains. Si on perd cet amour, cette fraternité, on perd toute humanité. La seule réponse à la barbarie humaine c’est l’amour humain, sous toutes ses formes.
Erwan Larher, au moment de se mettre dans la peau des terroristes (quel morceau de bravoure !) ou de parler de les évoquer, ne tient jamais un discours de haine mais toujours de compassion. Le récit y puise une force insoupçonnable de prime abord. Ne ratez pas cet Objet Littéraire tout à fait identifié.
Vu du dehors
Tout fut d’abord très précis. C’est après que c’est devenu diffus.
Tout commence comme une soirée banale, de fin de semaine : des enfants épuisés qui vont se coucher tôt, un des deux qui négocie avec sa mère de dormir dans le grand lit parental et un mari qui se retrouve relégué au salon pour assouvir sa soif de lecture. Et puis le démon du jeu le reprend : il se souvient que ce soir c’est France-Allemagne au Stade de France et que si on peut mettre la pâtée une bonne fois pour toute à Schumarer et lui faire ravaler ses propres dents, « c’est toujours ça que les boches n’auront pas », comme on disait par chez moi !
Alors tu allumes l’Ipad, tu lances l’appli de télévision, tu regardes la second mi-temps du match. Tu es bien, le radiateur diffuse la petite odeur de chauffage qui fait te dire que la nuit ne sera pas glacée loin de ton lit. Et puis tu entends la voie du commentateur qui parle de bruit d’epxlosion. Mais tu ne comprends pas. Et puis tu entends des sirènes. Mais comme tu habites le long du canal Saint-Martin, tu ne comprends toujours pas.
Et puis les sirènes se font, non pas plus insistantes, mais plus fréquentes. Plus fréquentes que d’habitude, plus fréquentes que toujours. Tu ne comprends toujours pas ce qu’il se passe mais tu comprends qu’il se passe quelque chose. « Il s’est passé quelque chose » chante Juliette. Tu l’as souvent en tête cette ritournelle depuis bientôt deux ans, elle a pris un sens nouveau.
Alors tu poses l’Ipad mais tu ne l’éteins pas, la France est en train de gagner. Et tu prends ton téléphone pour chercher des informations. Alors tu reposes ton téléphone et tu reprends l’Ipad. Mais ce n’est plus du foot que tu vas continuer à suivre. Tu vas suivre une folle soirée entre infos, SMS, Facebook à rassurer, à prendre des nouvelles, à écouter les sirènes qui continuent leurs folles poursuites, à garder tes yeux ouverts malgré la fatigue de la semaine qui semble comme en suspension, à te demander si tu dois aller réveiller la maisonnée pour leur dire que… Mais pour leur dire quoi ? Alors tu restes seul dans ton salon à regarder les écrans, à observer les reflets des gyrophares des voitures qui déboulent sur le canal qui arrivent d’on ne sait où et qui vont là où on sait, maintenant.
Tu ne sais pas encore qu’une soirée un peu comme celle-là , tu en passeras une autre, en juillet 2016, sans les gyrophares, sans les sirènes parce que si tu es dans le sud, tu n’es pas directement à Nice mais dans l’arrière-pays. Un petit havre de paix et de calme à moins d’une heure des nouveaux attentats, chamboulé aussi par une nuit à rassurer, à prendre des nouvelles et à garder tes yeux ouverts malgré la semaine la fatigue de la semaine qui semble comme en suspension et malgré les douze heures de routes de la veille pour rejoindre ton lieu de vacances.
Bien sûr, ces attentats ont détruit avant tout des vies et les certitudes que je/tu/nous pouvait avoir sur ma/ta/notre existences. Mais ils ont aussi emporté avec eux les barrières de l’individualisme. Pas pour tout le monde. Pas partout. Mais je/tu/nous espère suffisamment pour ne pas faire de la fraternité un vain mot, un futur concept, un prochain oubli.
Alors, cher Erwan (je/tu/il se sent assez proche pour laisser tomber le nom de famille et passer au tutoiement), je/tu/il ne sait pas si tu rebandes à nouveau (et je/tu/il s’en fiche de le savoir, même si je/tu/il te le souhaite – et puis tu sais, la bandaison de papa, hein !), et d’ailleurs je/tu/il ne sait pas moi/toi/lui-même si je/tu/il a réellement survécu dans mon/ton/son intégrité à ces différents événements, mais je/tu/il espère que tu as pu pleurer dans ta bière…
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