Il faut être un peu funambule pour écrire ce genre de livre. Il faut être un peu funambule pour le lire… Il faut avoir ce petit violon dans la tête pour vouloir essayer de parler de ce livre.
Stradi, lui, justement, il a un violon dans la tête. Depuis la naissance. Pas au sens figuré, hein, au sens propre. Il a littéralement un violon dans la tête depuis la naissance. Son violon, son cerveau et son crâne grandissent en parfaite harmonie. Mais cette particularité a passablement alourdi son enfance : de la surprotection parentale à l’incapacité du corps médical à comprendre ce qui s’est passé sans parler de prévoir l’avenir de Stradi, ce dernier est un enfant que tout désigne comme étant « à part ».
Gilles Marchand, après un très remarquable et insuffisamment remarqué « Une bouche sans personne », se lance dans un numéro de… funambule pour parler du handicap. Il le fait en créant de toute pièce une situation de handicap originale qu’il va utiliser sous toutes ses coutures pour tourner autour de son sujet, avec tact et pudeur.
Gilles Marchand fait ici preuve d’une simplicité qui touche à l’évidence, qui rend les choses limpides pour le lecteur. Qui dit simplicité ne dit pas, par contre, absence de profondeur du propos, au contraire. Ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement… dit l’écrivain poète.
L’archer du petit violon de Stradi (vous avez forcément compris d’où lui vient son surnom) s’agite au grès des situations et de ses sentiments pour donner une couleur musicale à sa vie. Une couleur qui peut être tour à tour blanche, éclairante, brillante ou virer au noir, au sombre et à la colère en passant par toutes les couleurs de la palette d’un peintre.
Filer ainsi la métaphore artistique n’est pas innocente : le livre de Gilles Marchand se regarde et se lit comme une partition musicale : à partir d’un thème, l’écrivain-musicien se pique de broder des variations autour de son thème. Ces variations lui permettront au cours de son récit d’aborder les différents sentiments parcourus par Stradi à travers ses différentes expériences de l’enfance (les relations avec les autres enfants, l’amitié, la sociabilisation, le fait de grandir, d’appréhender son corps…) à l’âge adulte (l’émancipation, le travail, l’amour, la paternité…).
Ce que touche du doigt Gilles Marchand, les sables mouvants vers lesquels il tente d’attirer son lecteur, ce sont toutes les nuances qui partent de la différence et qui mènent vers l’anormalité ou l’unicité. Finalement, quels que soit notre génétique, nous sont tous différents les uns des autres et donc tous uniques. L’anormalité n’a rien à faire dans cette histoire.
C’est pourtant tout ce qui est renvoyé à la figure de Stradi à chaque étape de sa vie, à chaque expérience : il n’est pas « comme les autres », il est « différent ». Stradi a son lot de désagréments, de joies, de peines, de douleurs, de colères, comme tout le monde. Le rejet dont il est parfois victime n’est que la matérialisation brutale, dans le monde réel, du regard différent que lui lancent à peu de chose près toutes les personnes qu’il croise.
Alors la petite musique de Gilles Marchand prend le dessus et les mots qu’il égraine sur la partition de ses pages blanches produisent une douce mélodie du bonheur d’être tout simplement, d’être soi, ce qui se révèle au final être la chose la plus difficile au monde.