Voici un texte comme je les aime, tout en tensions, en non-dits et en silences : Danielle, neurologue à la retraite, invite chaque été son fils, psychiatre divorcé et son petit-fils, brillant étudiant, à venir passer quelques jours dans sa très belle villa de Sanary-sur-Mer.
Est-ce parce qu’elle a bien conscience que chacun s’y ennuie un peu, est-ce parce qu’avec l’âge, les tâches matérielles lui pèsent de plus en plus ou bien, en tant que scientifique bien persuadée que tout n’est chez l’être humain que « connexions électriques » et « échanges chimiques », souhaite-t-elle malicieusement se livrer à une expérience ? En tout cas, cet été, Danielle a engagé une jeune femme, Prisca, comme employée de maison.
« Elle avait donc eu envie de mettre un terme à sa routine. Cette année-là, l’approche des vacances à Sanary, au lieu de la réjouir, l’avait pendant un temps angoissée. Elle s’était mise à redouter la répétition à l’identique des repas taciturnes, des promenades moroses et des soirées sans enthousiasme… Elle voulait que ça change. »
Or, cette jeune femme, ni belle ni laide, à la fois discrète et sensuelle, polie et distante, va petit à petit devenir le centre de l’attention des membres de cette petite famille frustrée, coincée et mal dans sa peau, les conduisant, bien malgré eux à s’interroger sur ce qu’ils sont vraiment, ce qu’ils attendent de la vie et la façon dont ils définissent le bonheur.
Cette jeune personne un peu mystérieuse va, comme dans une expérience chimique, leur servir de révélateur, jouer le rôle de l’élément perturbateur, les plaçant dans une position assez inconfortable, remettant en question, sans le vouloir, des années d’habitude et un mode de vie, de pensée, réglé au millimètre près.
Et s’il suffisait, dans ce bel agencement, de simplement déplacer un vase pour que tout soit remis en question et que chacun se sente déstabilisé ? Parfois de petits gestes produisent de vrais tremblements de terre…
J’ai beaucoup aimé ce court roman où chacun s’observe, s’épie silencieusement, s’interroge, se remet en question. Traversant tant bien que mal les chaudes journées d’été, les personnages, peu enclins à parler de leurs propres émotions, vont se livrer un peu malgré eux à une profonde et assez douloureuse introspection. Leur regard sur eux-mêmes et sur le monde va évoluer lentement et ils ne sont pas près d’oublier ce qu’ils vont vivre cet été là.
Une mer d’huile est un roman d’atmosphère : on ressent physiquement la chaleur écrasante du soleil, le malaise psychologique des personnages se débattant dans leur mal-être, tentant de résoudre leurs conflits internes sans quitter des yeux la fascinante Prisca dont la présence finit par leur être indispensable.
Mais où va les conduire cette étrange relation ? Vont-ils être capables d’y mettre un terme à temps ? Comment va s’achever cette étrange expérience scientifique ?
Un huis clos étouffant sous un soleil de plomb qui rappelle l’atmosphère des tragédies grecques où tout est calme en apparence mais où l’on sent que la tension et un certain malaise montent à chaque page tandis que les protagonistes vivent une véritable tempête sous un crâne.
Fort et troublant !
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