Dans l’avalanche de romans noirs ou policiers de cet automne, voici sans doute le plus poignant, peut-être le plus personnel… Un livre-choc où l’auteur a tant mis de ses tripes qu’il laisse les nôtres nouées. Avec « Entre deux mondes », Olivier Norek change de calibre. Il n’est plus ce fonctionnaire de police qui nous fait partager son vécu des banlieues difficiles. Il devient un romancier qui nous interpelle sur une question de société.
Les deux mondes en question sont deux faces d’une même désespérance. Des damnés de la Terre du Moyen-Orient ou d’Afrique ont fui la guerre, guidés par un bouche-à-oreille incontrôlable vers le Royaume-Uni. Ils échouent aux portes de cet eldorado fantasmé, à Calais, dans le plus grand bidonville d’Europe. Les Iraniens l’appellent « la Forêt » : « jangal » dans leur langue. En s’incrustant dans cette « Jungle », les réfugiés effraient les touristes et les routiers. Leur pauvre univers vient en téléscoper un autre : celui des riverains, autres oubliés, autres survivants.
Tout cela, Olivier Norek nous le raconte dans une fiction aux puissants accents de vérité, où tout respire le terrain, hommes ou situations, problématiques ou anecdotes. Il n’est pas moins à l’aise pour nous donner à voir la Syrie meurtrie du tyran Bachar al-Assad qu’un commissariat français délabré, pour nous ballotter en Méditerranée sur un radeau de migrants ou dans une émeute commanditée par les passeurs, la nuit, sur l’autoroute A16.
Il en fait émerger des figures fortes, chacune symbole d’une douleur. A l’intérieur des barbelés, le Syrien Adam, policier et opposant clandestin, qui ne reverra jamais sa femme et sa fille. Et avec lui le petit Soudanais Kilani, chair à canon en son pays, chair à plaisir dans l’enceinte du camp, sans loi mais pas sans ordre. Hors de la « Jungle », mais aussi salis que s’ils y dormaient, des policiers usés et sans illusions, jusqu’à douter de leur propre humanité. Autour d’eux, d’autres migrants et d’autres flics, comme autant d’angles et de points de vue.
Dans ce cadre ultra-réaliste, la trame policière ne s’estompe jamais. Un meurtrier a frappé. Un recruteur de Daech s’est infiltré. On s’observe, on se méfie, on regarde par-dessus son épaule. Mais le vrai suspense, celui qui nous fait languir, c’est de savoir si les deux mondes vont savoir se parler et se comprendre.
Waouh… c’est du très bon, n’y allons pas par quatre chemins. Quelle maîtrise, Monsieur Norek ! Je suis bluffée comme on dit. Sont réunis ici tous les ingrédients qui font un excellent polar : une construction au millimètre, une langue fluide et des dialogues dynamiques, du suspense (impossible de reposer le bouquin), une plongée dans un univers, des personnages émouvants et très attachants… Tout y est : vraiment j’ai adoré !
Bon, que je vous raconte un peu : si je vous dis « Calais », vous allez penser à quoi ? Son beffroi de 78 mètres, ses fameux bourgeois immortalisés par Rodin, son port, sa plage ?
Pas vraiment, me direz-vous… Les mots qui vous viendront à l’esprit sont La Jungle, les migrants, le rêve du passage vers l’Angleterre (Youké, comprenez UK), la survie sous une tente, le froid, la faim, la misère, la violence, la mort.
Et c’est là qu’Olivier Norek donne rendez-vous à ses personnages, dans ce lieu qui n’en est pas un, dans cet espace où la police ne met pas les pieds, le plus grand bidonville d’Europe : « vous y allez souvent ? – Aux abords tous les jours. A l’entrée, quand il le faut. Mais dedans, rarement. C’est à la fois une zone de non-droit et un bidonville » où des enfants, des femmes, des hommes tentent de survivre comme ils peuvent, épuisés par un voyage qu’aucun de nous ne ferait. Bref, un endroit à la marge, « entre deux mondes », une espèce de no man’s land avec des hommes, enfin, ce qu’il en reste. Pour une plongée, c’est une plongée (l’auteur a partagé trois semaines la vie des réfugiés mais il a rencontré aussi les policiers, les politiques, les journalistes, les calaisiens…) et vous verrez, quand vous entendrez parler de Calais et des migrants, vous n’envisagerez plus tout à fait les choses de la même façon… et pour cause…
Extrait d’une discussion entre flics en faction de nuit à Calais :
« -C’est comme dans les films d’horreur, tu sais, quand la nana court dans la forêt, qu’elle se casse la gueule tous les trois mètres et que l’assassin la suit, tranquille en marchant.
– Je vois pas le rapport.
– Mais si, attends. Bon, elle a réussi à sortir de la forêt et elle tombe sur une petite maison. Elle cogne à la porte, elle dit qu’elle va se faire égorger, qu’un fou la suit et tout et tout. Là, le proprio, s’il ouvre pas, les spectateurs le traitent d’enfoiré. Normal, non ?
– Ouais. Non-assistance à personne en danger. Mais je vois toujours pas le rapport.
– Le rapport c’est qu’on fait exactement la même chose. Tous ces migrants, là, c’est comme s’ils fuyaient un assassin en série, qu’ils frappaient à notre porte et que nous, on faisait semblant de pas entendre.
– D’accord, sauf qu’ils sont dix mille à toquer. Et avec le phénomène d’aspiration, si on ouvre pour ceux-là, dix mille autres se présenteront, puis dix mille autres.
– Je sais, mathématiquement, ça tient, mais humainement, ça bloque toujours… »
Bon, un peu longue ma citation, mais elle pose en quelques mots toute la complexité d’un problème quasi insoluble dont Olivier Norek nous dresse, sans manichéisme aucun, un état des lieux… A nous de nous interroger…
Adam Sarkis, ancien membre de l’Armée syrienne libre, recherché dans son pays pour trahison, se retrouve là, à Calais. Il attend sa femme Nora et sa fille Maya qui sont parties avant lui, pour plus de prudence. De Damas, elles doivent passer par Beyrouth, Amman, Tripoli, Pozzalo, puis… Calais. Voilà ce qui est prévu. Ils sont censés maintenant se retrouver. Après, ils verront. Mais pour le moment, elles ne sont pas encore là…
Arrive aussi, à peu près au même moment, un flic, le lieutenant Bastien Miller affecté à la brigade de sûreté urbaine de Calais. On le prévient tout de suite, Calais, ce n’est pas une sinécure. Poids lourds pris d’assaut, agressions en tous genres, barrages sur l’autoroute, morts de migrants, vengeances, magouilles, meurtres, viols, tensions entre communautés (comme le dit Ousmane, un réfugié : « Tu dois faire attention aux Afghans. Ils ne sont pas pires que les autres, mais comme ce sont les plus nombreux, ils essaient de faire la loi. C’est naturel. C’est la survie. Nous devenons tous des monstres quand l’Histoire nous le propose. ») Présence, aussi, des recruteurs pour Daech. Et, bien sûr, des humanitaires débordés. De plus, la cohabitation est ultra-tendue avec les Calaisiens : des bagarres sont à déplorer, la ville perd ses touristes, les magasins ferment, le taux de chômage grimpe, les maisons ne valent plus rien… Il faut gérer ça au quotidien. Bref, Bastien est prévenu. Ses collègues n’en peuvent plus : dépressions, tentatives de suicide, arrêts-maladie, problèmes de couple et impossible de muter : quand on y est, on y reste.
Et puis, il y a un problème dans cette Jungle (qui doit son nom au fait que les migrants iraniens ont appelé ce secteur boisé « La forêt » à savoir « jangal » en persan : or, tout le monde a cru entendre « jungle »…), difficile d’intervenir comme l’expliquent les collègues de Bastien : « … tous ces types dans la Jungle fuient la guerre ou la famine. On n’est pas sur une simple migration économique mais sur un exil forcé. Ce serait un peu inhumain de leur coller une procédure d’infraction à la législation sur les étrangers et de les renvoyer chez eux. On passerait pour quoi ? Mais d’un autre côté, c’est plutôt évident que personne ne veut se soucier de leur accueil puisqu’on les laisse dans une décharge aux limites de la ville. Alors on leur a créé le statut de « réfugiés potentiels ». Un statut qui n’existe qu’à Calais : avec cette appellation de réfugiés potentiels, ni on ne les arrête, ni on ne les aide. On les laisse juste moisir tranquilles en espérant qu’ils partiront d’eux-mêmes. »
Des gens que l’État français refuse de faire entrer dans son système judiciaire, ce qui reviendrait d’une certaine façon, à les intégrer. Et de ça, pas question… Alors, tout se passe comme s’ils n’existaient pas, n’avaient pas vraiment de statut, d’identité. Une zone de non-droit habitée par des fantômes qu’on espère de passage. Et le pire peut y arriver.
Donc, tous les soirs, ça recommence, c’est l’assaut des camions, les grenades lacrymogènes en quantité qu’il faut jeter pour aveugler tout le monde, l’hélico qui survole et repère, les chiens surexcités, la trouille des chauffeurs et des migrants prêts à tout pour passer. Le cauchemar. Au quotidien.
Enfin, Bastien sera prévenu : « -Réfléchissez pas trop lieutenant. C’est pas une bonne idée. Ce job, il se fait en apnée. Tentez pas de respirer sous l’eau. »
Mais, comme vous l’imaginez, ce n’est pas forcément son genre au gars Bastien de ne rien dire et de ne rien voir… Trop humain pour fermer les yeux.
« A la fin il faudra regarder tout ce qu’on a accepté de faire. Et ce jour-là, j’ai peur de me dégoûter. »
Encore une fois, un polar rythmé, efficace, très bien documenté (une année d’enquête et six mois d’écriture) qui va vous faire découvrir un monde que vous n’imaginez même pas dans vos pires cauchemars ! Et des personnages que vous ne serez pas près d’oublier…
A lire absolument !
» Tous les pays riches, n’ont qu’une seule trouille, c’est de voir l’autre partie du monde venir se décrotter les pompes sur leur paillasson. »
Calais 2016, les pelleteuses chargées de réduire à néant le camp de migrants mettent à jour sept cadavres.
Damas juin 2016, quand le prisonnier va parler, il donnera son nom, Adam deviendra une cible , sa femme Nora et sa fille Maya aussi. Elles doivent quitter immédiatement la Syrie, sans lui. Adam est un agent de l’armée Syrienne libre, infiltré dans la police du régime syrien.
La torture c’est aussi du répit, sinon ça ne fonctionne pas, les fils électriques, l’acide, les yeux arrachés, un abattoir rempli de cadavres humains, bienvenue chez Bachard-el-Assad.
Nora et Maya passent une nuit en Libye, puis c’est la traversée de la méditerranée en zodiaque surchargés de migrants
Bastien Miller nommé au commissariat de Calais va faire la connaissance d’Adam qui est à la recherche de sa femme et de sa fille dans la jungle calaisienne. Dix mille personnes qui n’ont rien à faire de leur journée qu’attendre le milieu de la nuit pour tenter de monter dans un camion vers l’Angleterre. Quand il pleut à Calais, c’est de la grosse grêle, cailloux, briques écrous de chantier. Les commerces fermes, les touristes se barrent. Réglements de comtes, punitions, viols et agressions. Deux mosqués dont l’une version intégrale et brutale sert de base aux recruteurs de l’état islamique. Soudanais et Afghans se disputent le leadership sur le camp à coups de machettes et de couteaux.
Après sa trilogie sur les banlieues, Olivier Norek nous propose un roman noir ayant pour fond la jungle de Calais.Une fois de plus il ne fait pas dans la dentelle, tout sonne juste, on est à la limite du reportage notamment pendant la traversée de la méditérranée, où lorsque des centaines de migrants partent à l’assaut des camions L’écriture sans fioriture de l’auteur nous décrit l’horreur du quotidien de la jungle où l’atrocité n’a pas de limite. Des personnages remplis d’humanité apportent un peu de lumière à ce roman sombre et dérangeant. Comment oublié Kilani l’enfant soldat devenuun homme du jour au lendemain une arme à la main. « Face à la violence de la réalité, je n’ai pas osé inventer, seule l’enquête de police, basée sur des faits réels, a été romancée », écrit Olivier Norek, voilà tout est dit.