Léandre Batz est un journaliste d’investigation dont le petit-frère a créé eVal, une application qui donne une nOte à tout, ça on connait déjà, mais surtout à tout le monde, ça on ne maîtrise pas encore tout à fait. Le principe est simple : n’importe qui peut noter n’importe qui sur la base de trois couleurs, sans rien justifier, sans commenter, sans rien dire, une fois par tranche de 24 heures. Vert, orange, rouge, un système d’une simplicité biblique qui a voix d’évangile et régit la vie de tout un chacun à tel point qu’Olivia Muller, actrice renommée et reconnue, va se voir prochainement fermer la porte de l’adoption parce qu’elle n’est pas dans le vert sans que rien n’explique la brutale chute de sa nOte.
Léandre, chevalier au grand cœur comme on ‘en fait plus, décide d’enquêter sur eVal pour comprendre le cas d’Olivia Muller.
Le livre vaut pour deux points précis.
Tout d’abord pour les réflexions sur Internet, sur son intrusivité dans nos vies (ce que nous vivons déjà) et sur les potentielles conséquences sur nos vies de cette immixtion et de cette main-mise de la technologie sur notre valeur. L’être humain est devenu un produit comme les autres. On a maintenant l’habitude de noter et de juger un service, un produit, de (plus ou moins) nuancer notre avis sur Facebook en likant, en rigolant, en étant triste ou étonné face à une publication. Mais on ne réduit pas encore (du moins, je ne réduis pas encore…) notre prochain à l’état d’objet ou de produit. On peut être d’accord ou pas avec n’importe qui, on n’a pas le droit de réduire une personne à une nOte.
L’histoire s’attache donc à relever les failles du système pour mieux le dénoncer. Julien Capron oppose habilement Léandre et Robin, les deux frères, pour permettre à l’un, l’enquêteur, de fouiner, découvrir, comprendre l’hydre créée par l’autre et de lui dessiller les yeux pour bien montrer l’absurdité de son application. Cela aboutira sur la Mise à Jour, mais ça je vous laisse le découvrir par vous-même.
Ensuite, pour la structure narrative choisie par Julien Capron qu’il ne me semble pas avoir rencontré dans toutes mes précédentes lectures, mais bon, je suis loin d’avoir tout lu. Tous les personnages s’expriment à la première personne du singulier dans une succession d’intervention qui se répondent sans pour autant que ce ne soit jamais un dialogue à proprement parlé, qui font avancer l’histoire, complètent les assertions du précédent intervenant narratif. Chacun est donc tour à tour péremptoire mais doit souffrir la critique et la contradiction ou les nuances apportées par les autres personnages.
Ce choix particulier interdit à Julien Capron tout système de flash-back, de retour en arrière… l’action doit se dérouler de façon linéaire même s’il parvient à créer plusieurs fils narratifs pour avoir plusieurs actions simultanées.
Si le livre ne mérite pas à mon sens le qualificatif de thriller que la couverture lui accole, Julien Capron est efficace, intelligent et je n’aurai qu’un mot : vivement la suite, parce que ce n’est que lé début de l’histoire et le garçon a encore des trucs à nous dévoiler, a priori.
Ah, les nuits d’Halloween, très peu pour moi ! Tandis que mes gamins se précipitent dans le premier cinéma pour hurler de plaisir et trembler de joie devant un clown grimaçant ou une horrible poupée malveillante, m’assurant qu’ils ne rentreraient pas avant deux heures du matin, je me plonge avec délice dans un roman policier qui me fait de l’oeil depuis quelque temps. Et l’expression « faire de l’oeil » est à prendre au sens propre parce que, selon l’inclinaison que vous donnez au livre, l’oeil s’ouvre ou se ferme (on appelle ça un « flip lenticulaire » paraît-il…) Effet garanti !
Je commençais tranquillement ma lecture lorsque soudain, j’entendis la porte grincer…
Non, je plaisante ! Allez, me voilà plongée dans Mise à jour de Julien Capron, journaliste de formation et scénariste. Le texte se présente un peu comme une pièce de théâtre : chaque protagoniste prend la parole comme pour témoigner après coup de ce qui s’est passé.
Et que s’est-il passé ? Eh bien, imaginez une société où l’on note tout : les restos, les hôtels, les sites touristiques, les livres même… Mais cela ressemble fortement à la nôtre, me direz-vous. Oui mais si l’on vous notait VOUS aussi, en tant qu’individu ? Imaginez, vous passez dans la rue, vous croisez quelqu’un qui vous lâche un regard noir : clic, vous lui mettez une sale note. Votre ami a quelques minutes de retard ? Allez zou, un rouge : « une saloperie de Jugement dernier en temps réel ». Imaginez le pouvoir que chacun aurait sur l’autre ! Quel enfer ! Et puis, pas besoin de s’expliquer, de se justifier : t’as une sale tête, clac, une sale note ; toi, t’as l’air sympa, clic, un vert. Tu es quoi toi, en ce moment ? Je suis « orangeclair », j’espère être « vertclair » dans la journée car j’ai un entretien d’embauche et pour être embauché, il faut être bien noté (entre l’ « orangeclair » et le « vertfoncé »).
Tiens, c’est marrant, je ne sais pas pourquoi mais toutes ces couleurs me rappellent les évaluations par compétences : comme la note chiffrée risque de choquer l’élève, on utilise des couleurs, paraît-il que c’est moins violent. Je ne suis pas psychologue mais ma fille à l’école primaire avait eu une fois (une fois seulement, ouf!) un marron. J’ignore ce que symbolise le marron pour vous, mais pour ma fille, je vous assure qu’elle aurait mille fois préféré avoir une sale note.
Bon, revenons à nos couleurs : je vous sens un peu perdu, alors, je vais vous faire un petit schéma : « vertfoncé » = tb / « vertclair » = b / « orangetrèsclair » = ab / « orangeclair » = moyen / « orangefoncé » = mauvais / rouge = très mauvais.
Voici la hiérarchie sur eVal (l’appli en question) :
« La plupart des gens sont orangeclairs ou vertclairs. Au-dessus de vertclair, on est une star ; au-dessous d’orangeclair, on entre dans les premiers cercles de l’enfer. Je dirai : orange pour un type qui empêche son voisinage de dormir depuis deux mois ; orangefoncé pour un PDG qui vient de déménager son usine pendant la nuit en laissant quatre cents ouvriers sur le carreau ; rouge pour un politique qui vient de tomber pour corruption ; rougeclair pour un serial killer ; rougefoncé pour un serial killer djihadiste qui fait collection d’artefacts nazis. »
C’est plus clair ? Alors, je reprends, vous vous rendez à un entretien d’embauche et vous êtes « orangefoncé » : eh bien, c’est MORT, vous pouvez rentrer chez vous, on ne vous prendra JAMAIS.
Dans notre roman, il s’agit d’une jeune actrice, Olivia Muller, qui vient de se voir refuser son droit à l’adoption parce que sa note est trop basse. Et le problème, c’est qu’elle ne comprend pas POURQUOI sa note est trop basse et c’est l’énigme que Léandre, un de ses amis, va tenter de résoudre. Pourquoi Olivia a-t-elle une note aussi désastreuse, pourquoi est-elle « orangefoncée » ? Qu’a-t-elle fait pour en arriver là ? Elle ne voit pas elle-même et passe ses journées à pleurer sur son sort.
Évidemment, il y aurait une solution très simple : casser la sécurité d’eVal et aller trouver là-dedans toutes les infos qu’on cherche, mais lorsque l’on sait que le fondateur d’eVal n’est autre que le petit frère de Léandre, on se dit que le bras de fer ne va pas être simple.
Cette appli est-elle bien morale ? Est-elle trafiquée ? Et si oui, dans quel but ? Peut-on se fier à la logique mathématique, aux algorithmes ?
Une avalanche de questions d’actualité…
Comme je vous l’ai dit, Olivia est actrice à la Comédie-Française et j’ai beaucoup aimé, en arrière-plan, l’évocation du monde du théâtre et les réflexions sur le rapport entre fiction et réalité…
Bref, quand les gamins sont rentrés et qu’ils ont vu mon livre à œil « flip lenticulaire », ils se sont précipités dans leur chambre avant même que je tente de leur expliquer l’intrigue de mon polar : et clac, un rouge pour eux. Je n’aime pas qu’on refuse d’échanger sur la littérature, quelle qu’en soit la raison !
Et deux secondes après, un « vertfoncé », pour me rattraper : ce sont mes gosses quand même !