James Lee Burke reste, à 79 ans, un auteur des plus généreux. Pour le vingtième volet de la saga Dave Robicheaux, inaugurée en 1986, il s’est franchement lâché. Sur près de 700 pages, « Lumière du monde » multiplie les personnages secondaires, les niveaux de lecture, les thèmes sous-jacents, les téléscopages et les clins d’oeil. Avec un résultat qui agaçe autant qu’il captive… L’idée est de faire quitter à l’inspecteur Robicheaux sa Louisiane chérie pour une villégiature prolongée dans le Montana, deux états entre lesquels vivent en réalité le romancier et sa femme.
Il y a de la pré-retraite dans l’air pour ce flic au cuir épais, rescapé du Vietnam et de l’alcoolisme, qui semble vouloir prendre de la hauteur sur sa vie chaotique. Comme il va le redire tout au long de l’histoire dans son monologue intérieur, il en est à cet âge et à cette page de son existence où seuls comptent la famille et les amis. Sa femme l’accompagne donc, mais aussi sa fille adoptive Alafair (même prénom que celle de l’auteur), ainsi que son alter ego Cletus Purcell, détective privé excessif en tout, et la fille adoptive de celui-ci. La quiétude familiale est troublée d’entrée par une flèche qui vise la fille de l’inspecteur tandis qu’elle court dans la montagne proche. Deux duos, celui des pères et celui des filles, vont alors se mettre en chasse, l’un soudé par des années de confiance aveugle, l’autre réuni par une admiration réciproque où percent le trouble et l’ambiguité. Leurs chemins vont croiser ceux d’une cascade de personnages tordus, dégénérés, voire maléfiques, dont ils devront décrypter les liens ou les conflits pour éviter les balles perdues. Un clown de rodéo lobotomisé. Un milliardaire du pétrole qui emploie d’ex-taulards et règne sur la région par la crainte. Son fils flambeur et drogué. Sa belle-fille traumatisée par la disparition de sa propre fille adoptive. Un tueur en série évadé du Kansas qui rôde dans la nature, obsédé par Alafair… Au milieu de ces pedigrees tous plus chargés qu’un ciel d’orage, il faut un temps d’adaptation pour se repérer et appréhender quelle réalité James Lee Burke veut nous dépeindre. Cette société-là semble répondre aux mêmes lois que l’Ouest sauvage deux siècles plus tôt. On y discute un peu plus avant de dégainer, mais les armes ont toujours le dernier mot. Ce western moderne, James Lee Burke l’écrit en pêcheur autant qu’en romancier, fidèle à l’esprit de l’école littéraire du Montana. Le récit file comme le flux d’un torrent mais rebondit sur de grandes digressions philosophiques comme sur autant de rochers qui affleurent. Ce n’est pas lorsqu’il s’épanche sur la filiation ou l’amitié, sur la dépravation ou la mort, que l’auteur est le plus passionnant. C’est ce qui empêche « Lumière du monde » d’être plus qu’un roman simplement attachant.