Christoph Ransmayr est un auteur autrichien un peu confidentiel en France, qui mérite d’être lu plus largement. Après « La montagne volante » (2008) et « Atlas d’un homme inquiet » (2015), il publie aujourd’hui un roman somptueux qui nous entraîne dans la Chine du 18e siècle en compagnie du plus célèbre horloger européen de son temps. Un enchantement !
Maître des hommes et du temps
La passion du siècle des Lumières pour les automates, horloges et autres miniatures a gagné les contrées les plus lointaines. Ainsi l’illustre horloger anglais Alistair Cox et trois de ses compagnons traversent les mers pour se rendre à Pékin, à l’invitation de l’empereur Qianlong. Ce dernier passe commande à son hôte de trois horloges imitant les moments de l’enfance, des mourants et des amants. Mettre en mouvement le temps ressenti, voilà un véritable défi pour lequel le seigneur de la Cité interdite met à la disposition de Cox serviteurs, interprète, demeure et atelier luxueux. Hélas, le maître horloger n’est pas le maître du temps, qui en a fait la douloureuse expérience avec la mort de son enfant, mais les désirs de Qianlong ne souffrent aucun refus, et pendant plusieurs mois, la cité impériale est suspendue aux travaux de l’Anglais et aux caprices du despote.
Célèbres et mortels
Dans ce pays du Levant où tout n’est qu’ordre et protocole par la volonté de son tyran, comment oser évoquer le temps qui passe, partant la mort, la décomposition et l’oubli ? Car l’homme le plus puissant d’Extrême-Orient ne saurait échapper à la fuite du temps, ni la mécanique la plus ingénieuse du monde arrêter son cours. Christoph Ransmayr mêle savamment réalité et fiction dans ce conte mélancolique et poétique, un peu à la manière des orientalistes, avec des personnages incarnés et fragiles, une sensibilité au paysage, et de magnifiques expériences sensorielles transmises avec grâce au lecteur. Les rapports du pouvoir et de l’art au temps sont au centre de cette aventure humaine et philosophique servie par la beauté de l’écriture et l’élégance de la traduction. Vous l’aurez compris, un coup de cœur absolu, un roman comme un rêve dont on n’a pas envie de s’éveiller.