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L’âme Russe
Telle une femme de marin, Léna semble vouée à l’attente. Sa vie est une alternance entre la chaleureuse présence de son mari Vassia, pilote de l’air pour l’armée d’URSS, et les longues semaines où elle attend son retour. Lorsque Vassia est en mission, elle s’immobilise et écrit son attente à ses vieux parents d’adoption, Dimitri et Varvara, restés dans le grand nord sibérien. Lorsque Vassia rentre, tous les habitants du logement communautaire se massent dans la cuisine pour l’entendre conter ses histoires d’aviation, puis son récit de la conquête spatiale, la grande épopée soviétique de l’espace, fierté du peuple russe. Lorsque Léna comprend que son mari va faire partie d’une mission programmée dans l’espace, son monde se craquelle. Vient le temps du dégel, de la débâcle. L’auteur trace habilement un parallèle entre les saisons du grand nord, le long hiver communiste de l’URSS, et celui de Léna, en quasi hibernation depuis un drame d’enfance. Les dégâts d’un printemps brutal sont associés à la Pérestroïka. Un roman qui explore l’âme russe, des paysans dans leur kolkhoze de Sibérie aux citadins entassés dans les appartements communautaires… L’histoire d’une attente
URSS, 1987. Une jeune femme, Léna, attend. Elle attend le retour de son mari Vassili, pilote de chasse dans l’armée russe. La journée, elle travaille au combinat et quand le soir vient elle s’insère dans les files d’attente. Son existence est impassible. Elle guette le retour aléatoire de son homme. Solitaire, silencieuse, effacée, presque figée, patiemment elle attend. Sa vie est ainsi faite, rythmée par les arrivées et les départs de Vassili. Lui, à l’inverse d’elle est toujours en mouvement. Il n’a pas de limite, veut toujours aller de l’avant, plus loin, plus haut, toucher les étoiles. Quand il revient dans la maison communautaire où ils vivent tous deux, il est accueilli comme un héros par les enfants à qui il conte la riche histoire de la conquête de l’espace par les russes. On le sent fier, on le sent heureux, lumineux. Alors que Léna semble éteinte, absente… Pourtant quand il est là, le monde de silence dans lequel elle évolue se brise, le bruit se fait, chaleur et douceur envahissent son corps, mais elle ne partage pas la passion de Vassili, elle ne la comprend même pas. La solitude d’une femme de cosmonaute
La vie de Léna ressemble à celle des femmes de marins. Comme elles, Léna connaît l’absence, les longues périodes pendant lesquelles Vassili est à la Base. Mais Vassili n’est pas marin. Il est aviateur au moment où l’URSS est sur le point de se défaire, ce que personne ne prévoit encore. Léna ne maîtrise rien de son calendrier, dicté par la hiérarchie. Il rentre quand il peut, parfois au milieu de la nuit. Elle préfère, d’ailleurs, puisqu’il n’est pas alors accaparé par les enfants des cohabitants, désireux d’entendre Vassili raconter ses vols.
Léna devient femme de cosmonaute quand Vassili est choisi pour une mission de plusieurs mois sur la station Mir. Avant le départ, le rythme devient plus régulier, ensuite, il faudra attendre le retour pendant des mois…
La solitude d’une femme est au cœur du premier roman de Virginie Deloffre, qui traduit ce sentiment dans les lettres que Léna envoie à sa famille d’adoption. Elle y apparaît de plus en plus fragile, minée par les incertitudes liées à la carrière de son mari. De son côté, celui-ci transmet au livre la vibration d’une exaltation venue de loin, des intuitions géniales d’un savant méconnu du dix-neuvième siècle et prolongée dans une course à l’espace menée contre les Etats-Unis, l’adversaire de la Guerre froide. Chaque succès est un moment de fierté nationale, et le récit qu’en fait la romancière transcende la documentation pour devenir le pilier central de la construction.
Ajoutons que la vie quotidienne dans le Grand Nord sibérien est restituée avec talent. Il y a bien des raisons de découvrir Virginie Deloffre. Les libraires ne s’y sont pas trompé: ils ont donné leur prix à ce roman. Retrouvez Pierre Maury sur son blog
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