Alors là, je n’en reviens pas : découvrant par hasard vendredi soir que le magazine Lire a élu meilleur livre de l’année le roman de Karl Ove Knausgaard : Aux confins du monde (ex aequo avec le roman de Claudio Magris : Classé sans suite), je prévois de passer un week-end en apnée, plongée dans une œuvre passionnante, « l’une des plus puissantes du moment », une « autobiographie hautement addictive » « une œuvre littéraire d’envergure », «la nouvelle pierre angulaire d’ une entreprise littéraire majeure », « une force narrative… entêtante » (Lire, décembre 2017, p 37)… Sur le livre un bandeau jaune cite les termes d’Emmanuel Carrère pour parler de ce chef-d’oeuvre : « une œuvre littéraire absolument exceptionnelle. » Vous êtes d’accord, il y avait de quoi se dire que le we allait être parfait !
Samedi matin, ni une ni deux, je fonce à la librairie la plus proche, m’empare du bouquin, prépare un p’tit repas rapide (il faut bien nourrir les gosses) et hop ! Je ne suis là pour personne ! Au lit(vre) !
Et là… oh là là… Misère. J’ai beau lutter, la phrase de Flaubert s’impose à mon esprit : « la conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue, et les idées de tout le monde y défilaient dans leur costume ordinaire, sans exciter d’émotion, de rire ou de rêverie. » Comment exprimer en d’autres termes mon ressenti ?
Quelle déception ! Quelle douche froide ! Que vous dire ?
C’est plat, plat, sans humour et j’ajoute encore : sans style. Voilà, c’est dit. Mes propos sont à la mesure de ma déconvenue !
Non, vraiment, je n’en reviens toujours pas ! Peut-être (rassurez-moi) les autres volumes sont-ils meilleurs???
En fait, il s’agit d’une immense autobiographie Mon combat : 6 volumes parus en Norvège de 2009 à 2011, (3000 pages en tout!), là c’est le tome 4 mais chaque volume peut se lire séparément : La Mort d’un père (2012), Un homme amoureux (2014) et Jeune Homme (2016) publiés chez Denoël pour la traduction française. Un succès immédiat (500 000 livres vendus en Norvège sur 5 millions d’habitants et à peu près la même folie aux States !)
Certains disent même que l’auteur serait nobélisable !
Dans Aux confins du monde, Karl Ove Knausgaard raconte la fin de son adolescence et son passage à l’âge adulte, la séparation de ses parents, l’alcoolisme de son père, son goût pour la musique, son obsession pour les filles et ses problèmes sexuels. Après l’obtention de son bac, il accepte un poste d’enseignant dans le nord du pays dans un village du cercle arctique : Håfjord. En fait, son véritable projet n’est pas de rester enseignant mais d’écrire des nouvelles et de repartir sur les routes. On the road again, yeah, yeah !
Chouette programme, non ?
La même chose écrite par Emmanuel Carrère deviendrait une lecture passionnante et drôle que l’on ne pourrait lâcher. Mais là, vraiment RIEN : pas d’écriture (quand je pense que certains le comparent à Proust, c’est à mourir de rire!), pas d’humour ou si peu (un des personnages du roman lui dit : « Allez, Karl Ove, un peu d’autodérision ! ») et puis, encore une fois, rien qui retienne l’attention, la curiosité, l’envie de poursuivre (une torture ce week-end!). On n’a même pas d’empathie pour ce pauvre bougre. Si ! parfois on aimerait lui mettre les fesses dans de l’eau froide (glacée même, ça doit bien se trouver là bas, non ?) pour qu’il se calme un peu parce que ça le travaille dur sous la ceinture, celui-là!)
Certains lui reprochent de trop parler de lui, d’entrer trop dans le détail de son existence : moi, ça ne me dérange pas du tout, c’est le genre de l’autobiographie. Qu’il avoue des choses inavouables ? Pas de soucis, je prends aussi ! Qu’il ne vive rien d’extraordinaire ? Pas un problème non plus, écrire un livre sur rien, comme dirait Flaubert, c’est tout à fait possible. Aucune excuse donc, sinon de ne pas être un écrivain, c’est tout ! D’ailleurs, lui-même s’étonne de son succès : « Ce que j’écris est tellement banal » dit-il, lucide au moins…
Pour résumer (oui, vous me sentez un peu agressive mais le we gâché en est la cause!) au magazine Lire, ils placent ce roman au-dessus de… allez, un effort de mémoire, quelles sont les grandes pointures de cette année… Continuer de Mauvignier ? L’Art de perdre de Zéniter ? L’Ordre du jour de Vuillard ? L’homme qui s’envola de Bello ? Article 353 du code pénal de Viel ? Denise au Ventoux de Jullien ? Et j’en oublie, j’en oublie tellement… J’en reste bouche bée.
Allez, j’arrête là, j’ai hâte de passer à autre chose ! Je ne veux pas finir l’année là-dessus !
Et, puis, je viens d’apprendre que Le Grand Prix des Blogueurs Littéraires 2017 vient d’être décerné à Bakhita de Véronique Olmi, je n’avais pas voté pour elle, mais je partage tout à fait l’enthousiasme de mes collègues pour cette œuvre.
Allez, passez un bon Noël et si sous le sapin, vous trouvez le texte d’un certain K. O. Knausgaard, ne faites pas tout de même pas semblant de l’oublier parmi les emballages…
Retrouvez Lucia-Lilas sur son blog Lire au lit