L’écrivain voyageur Christian Garcin nous emmène à Las Vegas, mais loin du célèbre Strip où s’alignent casinos, hôtels et restaurants lumineux ; ici, on explore les lisières de la ville, les bas-fonds habités par des paumés, des vétérans, des junkies, toute une faune de laissés-pour-compte composant l’envers du décor de « Sin City », la ville du péché.
Des vétérans dans les tunnels…
Ils sont trois à vivre dans le même collecteur d’eaux de Las Vegas, l’une de ces larges canalisations souterraines. Trois vétérans de deux guerres : le Viêtnam et l’Irak. Hoyt Stapleton a passé trois ans dans l’enfer du Viêtnam, tandis que ses deux jeunes compagnons d’infortune se sont connus dans une association de vétérans d’Irak et d’Afghanistan. Ils vivotent, solidaires, ressassant le même passé, les mêmes traumatismes de ces guerres vaines qu’on leur a vendues emballées dans une histoire de Bien contre le Mal. De cette rhétorique usée jusqu’à la corde, ils en sont revenus sans illusions, avec les séquelles habituelles ; cauchemars chroniques, alcoolisme, violence, et résignation : « C’était une petite vie misérable et paisible ». Heureusement pour Hoyt, il y a les livres récupérés dans les poubelles du Blue Angel Motel, oubliés par les voyageurs, qui lui ouvrent les portes de la rédemption.
… aux tunnels du temps.
L’autre activité favorite de Hoyt est de voyager dans le temps par la pensée. Après avoir épuisé les sauts dans des avenirs apocalyptiques, il décide de remonter le temps et d’aller faire un tour du côté de son enfance. Là , il se poste dans un recoin de la maison maternelle pour observer un quotidien révolu. A force de concentration, il découvre certains faits que sa mémoire avait enfouis, il enquête sur les transformations de son ancien quartier, cherche à retrouver des voisins, et revit sa dernière et pire bataille. Il théorise une conception du temps non linéaire, qui bifurque, prend des virages, où événements et noms se télescopent pour faire surgir des fantômes sur les mêmes lieux qui diffèrent. Christian Garcin aime ses personnages et nous les fait aimer, figures de héros déchus représentant l’envers d’une Amérique où il pleut des oiseaux morts. Un beau roman sensible sur la mémoire, les hasards et la poésie.